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le salut de la patrie. Mais il fut aveuglé par sa première opinion, et il ne voulut pas voir que la méchanceté des hommes n’est ni vaincue par le temps ni adoucie par aucun bienfait ; en sorte que, pour n’avoir pas su imiter Brutus, il perdit tout à la fois sa patrie, son pouvoir et sa réputation.

Mais, s’il est difficile de sauver un État libre, il ne l’est pas moins de veiller au salut d’une monarchie. C’est ce que je ferai voir dans le chapitre suivant.


CHAPITRE IV,


Un prince ne peut vivre en sécurité sur son trône tant que vivent encore ceux qu’il en a dépouillés.


La mort que Tarquin l’Ancien reçut des fils d’Ancus, et celle de Servius Tullius, assassiné par Tarquin le Superbe, démontrent combien il est difficile et dangereux de dépouiller un prince du trône et de le laisser vivre, quoiqu’on s’efforce de le gagner en l’accablant de bienfaits. On voit combien Tarquin l’Ancien fut trompé en croyant posséder légitimement un trône qui lui avait été donné par le suffrage du peuple, et que le sénat avait confirmé. Il ne put soupçonner que le ressentiment eût assez d’empire sur les fils d’Ancus pour qu’ils ne pussent se contenter de ce qui contentait Rome entière.

Servius Tullius se trompa de même en croyant gagner les fils de Tarquin par de nouveaux bienfaits.

De sorte que le premier exemple peut apprendre aux princes qu’ils ne doivent point espérer de vivre tranquilles dans leurs États, tant qu’existeront ceux qu’ils en ont dépouillés.

Quant au dernier, il doit sans cesse rappeler aux puissants qu’une injure ancienne ne fut jamais effacée par