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laire, il cherchera à satisfaire son ressentiment dans la ruine de son pays. S’il vit sous les lois d’un prince, et qu’il ait quelque fierté dans l’âme, il n’aura pas un instant de repos qu’il n’ait obtenu une vengeance éclatante, dût-il lui-même y trouver sa perte.

Je ne puis citer à l’appui de ce que j’avance un exemple plus beau et plus convaincant que celui de Philippe de Macédoine, père d’Alexandre. Il y avait à sa cour un jeune homme d’une famille noble et d’une rare beauté, nommé Pausanias ; Attale, un des plus intimes favoris de Philippe, en était épris, et le poursuivait sans cesse de ses sollicitations ; mais se voyant toujours rejeté, il résolut d’arracher par la ruse et la force ce qu’il sentait ne pouvoir obtenir par un autre moyen. Il donna un festin solennel où assistèrent Pausanias et une foule de grands : quand tous les convives furent échauffés par les mets et par le vin, il fit saisir Pausanias, et, l’ayant conduit dans un endroit écarté, il assouvit sur lui ses infâmes désirs ; et, par un raffinement d’injure, il le livra aux outrages d’une partie des autres convives. Pausanias se plaignait chaque jour de sa honte à Philippe, qui, après l’avoir longtemps bercé de l’espoir de la vengeance, loin de punir son injure, nomma Attale au gouvernement d’une des provinces de la Grèce. Pausanias, voyant son ennemi comblé d’honneurs au lieu d’être puni, tourna toute sa colère non contre celui qui l’avait outragé, mais contre Philippe, qui l’avait laissé sans vengeance ; et un jour que le roi célébrait en pompe les noces de sa fille avec Alexandre, roi d’Épire, et qu’il se rendait au temple pour les solenniser, Pausanias le poignarda au milieu des deux Alexandre, son gendre et son fils.

Cet exemple a beaucoup de ressemblance avec celui des Romains, et doit servir de leçon à ceux qui gouvernent. Il ne faut jamais faire si peu de cas d’un homme, que de croire qu’en ajoutant de nouvelles