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aux Romains lorsqu’ils envoyèrent les trois Fabius comme ambassadeurs auprès des Gaulois, qui étaient venus attaquer la Toscane, et en particulier Clusium.

Les habitants de cette ville avaient imploré le secours des Romains, et le sénat envoya des députés aux Gaulois pour leur signifier, au nom de la république, qu’ils eussent à s’abstenir de faire la guerre aux Toscans. Ces envoyés, plus propres à agir qu’à parler, se trouvaient encore sur les lieux lorsque les Gaulois livrèrent bataille aux Toscans : ils se mêlèrent dans les rangs de ceux-ci pour combattre les ennemis ; ils furent reconnus, et les Gaulois indignés tournèrent contre les Romains tout le courroux qu’ils avaient d’abord conçu contre les Toscans. Ce courroux devint plus profond encore lorsque leurs envoyés, s’étant plaints au sénat romain de l’offense qu’ils avaient reçue, et ayant demandé qu’on leur livrât les trois Fabius en réparation, virent non seulement leur demande rejetée, mais les coupables mêmes, loin d’être punis, nommés tribuns consulaires à la première assemblée des comices. Les Gaulois, en voyant combler d’honneurs ceux qui auraient dû être châtiés, s’imaginèrent qu’on n’en agissait ainsi que par mépris et pour leur faire honte : enflammés de colère et d’indignation, ils se jetèrent sur Rome et s’en rendirent maîtres, à l’exception du Capitole. C’est à l’oubli de la justice que les Romains durent attribuer ce désastre : leurs ambassadeurs avaient violé le droit des gens, et, quand il aurait fallu les punir, ils furent récompensés.

Il est donc essentiel de réfléchir combien une république ou un souverain doit être attentif à ne point commettre une pareille offense, soit envers tout un peuple, soit même envers un simple citoyen. Si un homme profondément outragé, ou par le peuple, ou par un particulier, n’obtient pas la réparation qu’exige sa vengeance, et qu’il vive sous un gouvernement popu-