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livre ii, chapite x.

circonstance, produisit un inconvénient que mille autres causes pouvaient occasionner : ainsi, lorsqu’une armée manque de vivres, et qu’elle se voit contrainte ou à mourir de faim, ou à livrer bataille, elle embrasse ordinairement ce dernier parti, comme le plus honorable, et celui où elle peut espérer encore les faveurs de la fortune. Il arrive souvent aussi qu’un général, sachant que son ennemi attend des renforts, est obligé de l’attaquer et de s’exposer aux dangers d’un combat ; ou, s’il attend que son adversaire ait augmenté ses forces, d’avoir à livrer un combat mille fois plus désavantageux. On voit encore, par l’exemple d’Asdrubal, lorsqu’il fut attaqué sur le Métaure par Claudius Néron, réuni à l’autre consul, qu’un capitaine réduit à fuir ou à combattre choisit presque toujours le combat : ce parti, quoique extrêmement douteux, lui présente cependant encore quelques chances de succès, tandis que l’autre ne lui offre qu’une perte assurée.

Il y a donc une foule de circonstances où un général est contraint, malgré sa propre conviction, d’en venir à une bataille ; et le défaut d’argent peut être de ce nombre, sans qu’on puisse en conclure qu’il soit plutôt le nerf de la guerre que cette foule d’autres causes qui entraînent les armées dans la même nécessité.

Je dois donc le redire encore : ce n’est point l’or, ce sont les bons soldats qui sont le nerf de la guerre. L’argent est nécessaire, sans doute, mais ce n’est qu’une nécessité secondaire, que les bons soldats savent toujours surmonter par leur vaillance ; parce qu’il est aussi impossible à une armée courageuse de manquer jamais d’argent, qu’il est à l’argent seul de trouver de bons soldats. L’histoire, en mille endroits, prouve la vérité de ce que j’avance. En vain Périclès avait déterminé les Athéniens à faire la guerre avec tout le Péloponèse, en les assurant que leur industrie et leur richesses devaient les rendre certains du succès : quoique en effet les Athéniens,