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était un trésor incalculable : ce prince lui ayant demandé ce qu’il pensait de sa puissance, Solon lui répondit que ce n’était point par cet amas d’or qu’il pouvait en juger, parce qu’on ne faisait pas la guerre avec de l’or, mais avec du fer ; qu’il pouvait survenir un ennemi qui aurait plus de fer que lui et qui lui ravirait ses trésors.

Après la mort d’Alexandre le Grand, une multitude innombrable de Gaulois se répandit dans la Grèce, et de là en Asie. Ces barbares ayant envoyé des ambassadeurs au roi de Macédoine pour traiter avec lui, ce prince, pour faire parade de sa puissance et les éblouir par la vue de ses richesses, leur montra une grande quantité d’or et d’argent : loin d’être effrayés, les Gaulois, qui, pour ainsi dire, avaient déjà confirmé la paix, se hâtèrent de la rompre ; tant s’accrut en eux le désir de lui enlever son or. C’est ainsi que ce roi fut dépouillé des trésors mêmes qu’il avait cru amasser pour sa défense.

Il y a peu d’années encore que les Vénitiens, quoique le trésor public fût comblé de richesses, perdirent toutes leurs possessions, sans que leur or servît à les défendre.

Aussi, quel que soit le cri de l’opinion générale, je soutiendrai que ce n’est pas l’argent qui est le nerf de la guerre, mais une bonne armée ; car, si l’or ne suffit pas pour trouver de bons soldats, les bons soldats ont bientôt trouvé de l’or. Si les Romains avaient voulu faire la guerre plutôt avec de l’argent qu’avec du fer, tous les trésors du monde n’auraient pu leur suffire pour réussir dans les vastes conquêtes qu’ils entreprirent, et surmonter les obstacles qu’ils y rencontrèrent. Mais, comme ils faisaient la guerre avec le fer, ils ne souffrirent jamais de la disette de l’or, parce que ceux qui les redoutaient leur apportaient leurs richesses jusqu’au milieu de leurs camps.

Si le manque d’argent obligea le roi de Sparte à tenter le hasard d’une bataille, c’est l’argent qui, dans cette