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Le système des ligues, dont nous avons déjà parlé, et qu’embrassèrent les Toscans, les Achéens et les Étoliens, et que de nos jours les Suisses ont adopté, est le plus favorable après celui qu’ont suivi les Romains. Les conquêtes se trouvant bornées, il en résulte deux avantages : le premier, qu’il est difficile d’attirer la guerre sur vous ; l’autre, que le peu dont on s’empare, on le conserve sans peine.

La difficulté d’étendre les conquêtes a pour cause le peu d’ensemble qui existe dans les républiques, ou la distance qui, séparant leurs diverses parties, les empêche de pouvoir facilement se rassembler pour prendre conseil ou pour délibérer. Cette cause diminue encore le désir de dominer, parce que le partage de la conquête devant être fait entre tous les alliés, ils n’y attachent plus la même importance qu’une république unique qui espère en goûter seule tous les fruits. Comme la ligue se gouverne par un conseil général, ses délibérations ne peuvent jamais être aussi promptes que celles d’un peuple qui habite dans la même enceinte. L’expérience nous montre encore qu’un semblable système a des bornes que lui fixe la nature, et au delà desquelles il n’y a pas d’exemple qu’il ait pu s’étendre : il suffit que douze ou quatorze petits États se liguent ensemble ; il ne faut point chercher à aller plus avant. En effet, lorsqu’on est parvenu au point de se croire à l’abri de toute insulte, on ne cherche point à accroître son territoire, tant parce que la nécessité ne montre pas le besoin de s’agrandir, que parce qu’on ne sent pas l’utilité des conquêtes ; et j’en ai précédemment exposé la raison. Ces républiques seraient contraintes à embrasser un des deux partis suivants : ou continuer à se faire de nouveaux compagnons, et cet accroissement apporterait le désordre dans la ligue ; ou augmenter le nombre des sujets ; mais comme elles voient de grandes difficultés dans ce dernier parti sans en apercevoir l’utilité, elles ne l’estiment nullement.