Page:Œuvres politiques de Machiavel.djvu/344

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

second moyen, ayant fait en outre ce que Athènes et Sparte avaient négligé, vit sa puissance s’élever au plus haut degré. Comme elle seule suivit cette conduite, elle seule put devenir aussi puissante, et se fit dans toute l’Italie de nombreux alliés, qui, sous beaucoup de rapports, jouissaient des mêmes prérogatives qu’elle. D’un autre côté, comme on l’a vu plus haut, elle se réserva sans cesse le siége de l’empire et le commandement dans toutes les entreprises ; aussi ses alliés ne s’apercevaient pas que c’était au prix de leurs fatigues et de leur sang qu’ils se plaçaient eux-mêmes sous le joug.

En effet, dès que la république romaine commença à transporter ses armées hors de l’Italie, à réduire les royaumes en provinces, et à ranger au nombre de ses sujets ceux qui, accoutumés à vivre sous les rois, n’attachaient aucune importance à servir un maître, ces peuples, gouvernés par des Romains, vaincus par des soldats qui portaient le nom de Romains, ne reconnurent que Rome pour maîtresse suprême : de sorte que les peuples d’Italie, qui jusqu’alors s’étaient regardés comme les amis de Rome, se trouvèrent tout à coup entourés de sujets romains, et pressés d’un autre côté par toute la grandeur de Rome ; et, lorsqu’ils se furent aperçus de l’erreur dans laquelle ils avaient vécu jusqu’alors, il n’était plus temps d’y remédier, tant la puissance de Rome s’était accrue par la conquête de cette multitude de provinces étrangères ; tant étaient formidables les forces que renfermait une cité dont l’immense population était sans cesse sous les armes ! En vain ces alliés, pour venger leurs offenses, se soulevèrent contre elle ; ils furent bientôt trahis par le sort de la guerre, et leur situation ne fit qu’empirer, car d’égaux ils devinrent aussi sujets.

Les Romains seuls, ainsi que nous l’avons dit, ont suivi cette conduite. Toute république qui voudra s’agrandir ne peut agir différemment ; et l’expérience montre, en effet, qu’aucune autre n’est aussi certaine.