Page:Œuvres politiques de Machiavel.djvu/34

Cette page a été validée par deux contributeurs.
4
AVANT-PROPOS.

part de ce principe absolu qu’il faut quelquefois recourir au mal, parce que les hommes sont méchants ; de l’autre, il marche toujours droit et d’un pas ferme quand il pénètre dans l’analyse et l’exposition des faits, et son esprit positif touche souvent à la réalité d’une manière si saisissante qu’on a pu croire qu’il avait voulu écrire une satire. Lui-même d’ailleurs avait provoqué cette opinion par ces ligues empreintes d’un désenchantement si profond : « Bien des gens ont imaginé des républiques et des principautés telles qu’on n’en a jamais vu ni connu. Mais à quoi servent ces imaginations ? il y a si loin de la manière dont on vit à celle dont on devrait vivre, qu’en n’étudiant que cette dernière, on apprend plutôt à se ruiner qu’à se conserver. »

Le livre du Prince, composé en 1513, au moment où l’auteur fut exclu des affaires publiques, ne parut qu’après sa mort en 1532. Machiavel l’avait dédié d’abord, non point à Laurent le Magnifique, comme l’ont dit à tort certains historiens littéraires, mais à Laurent, duc d’Urbin, usurpateur de la liberté florentine. « C’est la nécessité, dit-il dans une de ses lettres, qui me force à dédier ce livre ; c’est elle qui me pousse ; je me consume, et ne puis rester longtemps comme je suis sans tomber dans un état de pauvreté qui m’exposerait au mépris. Je voudrais que les seigneurs de Médicis commençassent à se servir de moi, dussent-ils m’employer d’abord aux choses les plus communes ; car si je ne pouvais pas me les rendre favorables, je m’en ferais ensuite un reproche… On devrait aimer à se servir d’un homme qui a acquis aux dépens d’autrui une si longue expérience. » En d’autres termes, le secrétaire de Florence avait dédié, et peut-être aussi composé son ouvrage, pour obtenir, comme on dit de nos jours, une position. La position, cependant, lui fit défaut ; et il ne retira aucun fruit de son œuvre, quelque opinion qu’en ait eue Laurent, qui mourut en 1519 sans avoir récompensé l’auteur.

Nous n’entrerons point ici dans le détail des nombreuses éditions ou traductions qui ont été faites du livre du Prince, nous bornant à renvoyer le lecteur, pour ces détails bibliographiques, au Manuel du Libraire de M. Brunet (Paris, 1843, in-8), au mot « Machiavel », t. III, p. 221, et à La France littéraire de M. Quérard, t. V, p.411 et suiv., au mot « Machiavelli ».