Page:Œuvres politiques de Machiavel.djvu/333

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

allèrent mettre le siége devant Véïes, la Toscane était libre, et chérissait tant sa liberté et abhorrait à un tel point le nom même de prince, que les Véïens s’étant donné un roi pour la défense de leur ville, et ayant demandé l’appui des Toscans contre les Romains, on décida, après de longues délibérations, de ne leur prêter aucun appui tant qu’ils obéiraient à ce roi. On croyait qu’on ne devait pas défendre la patrie de ceux qui l’avaient déjà courbée sous le joug d’un maître.

On sent aisément d’où naît chez les peuples l’amour de la liberté, parce que l’expérience nous prouve que les cités n’ont accru leur puissance et leurs richesses que pendant qu’elles ont vécu libres. C’est une chose vraiment merveilleuse de voir à quel degré de grandeur Athènes s’éleva, durant l’espace des cent années qui suivirent sa délivrance de la tyrannie de Pisistrate. Mais, ce qui est bien plus admirable encore, c’est la hauteur à laquelle parvint la république romaine, dès qu’elle se fut délivrée de ses rois. La raison en est facile à comprendre : ce n’est pas l’intérêt particulier, mais celui de tous qui fait la grandeur des États. Il est évident que l’intérêt commun n’est respecté que dans les républiques : tout ce qui peut tourner à l’avantage de tous s’exécute sans obstacle ; et s’il arrivait qu’une mesure pût être nuisible à tel ou tel particulier, ceux qu’elle favorise sont en si grand nombre, qu’on parviendra toujours à la faire prévaloir, quels que soient les obstacles que pourraient opposer le petit nombre de ceux qu’elle peut blesser.

Le contraire arrive sous un prince ; car, le plus souvent, ce qu’il fait dans son intérêt est nuisible à l’État, tandis que ce qui fait le bien de l’État nuit à ses propres intérêts : en sorte que, quand la tyrannie s’élève au milieu d’un peuple libre, le moindre inconvénient qui doive en résulter pour l’État, c’est que le progrès s’arrête, et qu’il ne puisse plus croître ni en puissance ni en richesses ;