Page:Œuvres politiques de Machiavel.djvu/325

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passent, je crois que le monde a toujours été semblable à lui-même, et qu’il n’a jamais cessé de renfermer dans son sein une égale masse de bien et de mal ; mais je crois aussi que ce bien et ce mal passaient d’un pays à un autre, comme on peut le voir par les notions que nous avons de ces royaumes de l’antiquité, que la variation des mœurs rendait différents les uns des autres, tandis que le monde restait toujours immuable. La seule différence, c’est que la masse du bien, qui d’abord avait été le partage des Assyriens, fut transportée aux Mèdes, puis aux Perses, d’où elle passa en Italie et à Rome ; et si, après la chute de l’empire romain, il n’est sorti de ses ruines aucun empire durable, et qui ait réuni toutes les vertus comme dans un seul faisceau, cette masse du bien s’est répartie dans une foule de nations, qui en ont donné des preuves éclatantes. Tels furent le royaume de France, l’empire des Turcs et du soudan ; tels sont aujourd’hui les peuples d’Allemagne, et, avant eux, ces fameux Sarrasins, qui ont exécuté de si grandes choses, et dont les conquêtes s’étendirent si loin lorsqu’ils eurent renversé l’empire d’Orient.

Dans ces différents empires qui ont remplacé les Romains depuis leur chute, ainsi que dans ces sectes diverses, on a vu et on voit encore cette vertu que l’on regrette et que l’on ne cesse d’honorer par de véritables louanges. Celui qui naît au sein de ces États, et qui loue le passé plus que le présent, pourrait bien se tromper. Mais celui que l’Italie et la Grèce ont vu naître, et qui dans l’Italie n’est pas devenu ultramontain, ou Turc dans la Grèce, a raison de blâmer le siècle où il vit, et de louer les siècles qui se sont écoulés. Dans ces anciens temps, tout est plein d’actions merveilleuses ; tandis que dans les nôtres il n’y a rien qui puisse racheter la profonde misère, l’infamie et la honte où tout est plongé ; époque désastreuse où l’on foule aux pieds la religion, les lois et la discipline, où tout est infecté de souillures de