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l’exemple de Venise, où l’on n’élève aux charges de l’État que ceux qui sont gentilshommes.

Mais je répondrai que cet exemple n’est point une objection, parce que dans cette république les gentilshommes le sont plus de nom que de fait, attendu qu’ils n’ont point de grands revenus en biens-fonds, toutes leurs plus grandes richesses consistant en marchandises et en biens mobiliers ; d’ailleurs nul d’entre eux ne possède de châteaux, et n’a de sujets sous sa juridiction ; ce nom de gentilhomme n’est pour eux qu’un titre de dignité et de considération, qui n’est fondé sur aucun de ces avantages que dans les autres villes on attache au titre de gentilhomme. Et comme dans toutes les autres républiques les rangs de la société sont marqués par des dénominations diverses, ainsi Venise se divise en gentilshommes et en bourgeois, et veut que les uns possèdent ou du moins puissent posséder tous les honneurs, et que les autres en soient entièrement exclus. J’ai expliqué les causes pour lesquelles il n’en résulte aucun désordre dans l’État.

Que celui qui veut fonder une république l’établisse donc là où règne ou peut régner une grande égalité ; qu’il fonde, au contraire, une principauté là où l’inégalité existe ; autrement il donnera naissance à un État sans proportions dans son ensemble, et qui ne pourra subsister longtemps.



CHAPITRE LVI.


Les grands changements qui arrivent dans une cité ou dans une province sont toujours précédés de signes qui les annoncent ou d’hommes qui les prédisent.


Je ne sais d’où cela provient, mais on voit, par les exemples tirés des temps anciens et des modernes, qu’il