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dans l’État, chacun se présente devant le receveur des impositions ; il prête d’abord le serment de payer la taxe imposée, et il jette ensuite dans un coffre destiné à cet usage ce que, suivant sa conscience, il lui semble juste de payer, et il n’y a de témoin de ce payement que celui là seul qui paye.

On peut conjecturer, par cet exemple, combien il existe encore parmi ces hommes de vertu et de religion. On doit en conclure également que chacun paye la véritable somme : car s’il ne la donnait pas, la contribution n’atteindrait pas la quantité déterminée et communément obtenue : si quelqu’un s’exemptait de payer, la fraude ne serait pas longtemps sans être découverte ; et dès qu’on s’en apercevrait, on aurait bientôt adopté quelque autre mesure.

Cette probité est d’autant plus admirable de nos jours, qu’elle est plus rare et qu’elle n’existe plus, pour ainsi dire, que dans ces pays seuls. Il y en a deux raisons : la première est qu’ils n’ont point eu de grand commerce avec leurs voisins, qui ne sont point venus chez eux, et chez lesquels ils ne sont point allés : contents des biens qu’ils possèdent, ils se nourrissent des aliments, se vêtissent des laines que produit leur sol natal ; ils n’ont eu ainsi aucun motif de rechercher ces relations, principe de toute corruption ; ils n’ont pu prendre les mœurs ni des Français, ni des Espagnols, ni des Italiens, toutes nations qu’on peut regarder comme les corruptrices de l’univers.

La dernière cause à laquelle ces républiques doivent la pureté de leurs mœurs et l’existence politique qu’elles ont conservée, c’est qu’elles ne sauraient souffrir qu’aucun de leurs sujets se prétende gentilhomme ou vive comme s’il l’était. Ces sujets maintiennent au contraire parmi eux la plus parfaite égalité, et sont les ennemis déclarés de tous les seigneurs ou gentilshommes qui pourraient exister dans le pays ; et si le hasard en fait tomber quel-