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CHAPITRE LIV.


Quel est le pouvoir d’un grand homme pour retenir dans le devoir un peuple soulevé.


Le second point important que nous avons indiqué dans le chapitre précédent, c’est que rien n’est plus propre à réprimer la multitude soulevée que le respect qu’elle porte à quelque homme sage dont la vertu est une autorité, et qui se présente tout à coup devant elle. C’est avec raison que Virgile a dit :



Tum, pietate gravem ac ineritis si forte virum quem
Conspexere, silent, arrectisque auribus adstant.


________Virg., Æneid., lib.I., v. 151, 152.


En conséquence, tout chef d’une armée, tout magistrat d’une ville où s’élève une sédition, doit sur-le-champ se présenter au milieu du tumulte, user avec le plus d’adresse qu’il peut de son influence et de sa considération, et s’entourer de toutes les marques de sa dignité, afin d’imprimer plus de respect pour sa personne.

Florence, il y a peu d’années, était divisée en deux factions, nommées fratesche et arrabiate. On prit les armes, et les fratesques furent vaincus. On distinguait parmi eux Paul-Antoine Soderini, l’un des citoyens les plus recommandables de la république : le peuple armé se précipitait en foule vers sa maison pour la piller ; messer Francesco, son frère, alors évêque de Volterre, et aujourd’hui cardinal, s’y trouvait en ce moment. Au premier bruit qu’il entend, à l’aspect de la foule irritée, il revêt ses habits les plus magnifiques, met par-dessus le rochet épiscopal, et s’avance à la rencontre de ces furieux : sa présence, ses discours, tout les arrête ; et, pen-