Messer Hercule Bentivogli, commandant des troupes de Florence, conjointement avec Antoine Giacomini, après avoir battu Berthelemi d’Alviano à San-Vincenti, alla mettre le siége devant Pise. Cette entreprise fut décidée par le peuple, qu’avaient séduit les magnifiques assurances de Bentivogli, malgré les représentations d’une foule de citoyens éclairés qui la blâmaient hautement ; mais tous leurs efforts furent vains et repoussés par la volonté générale, trop confiante aux vastes promesses du commandant.
Ainsi, le moyen le plus facile d’entraîner la ruine d’un État où le peuple tient toute l’autorité en main, c’est de lui faire entreprendre des expéditions hardies ; car partout où le peuple aura quelque influence, il les embrassera toujours avec enthousiasme, et les hommes sages qui seraient d’un avis contraire ne pourront jamais s’y opposer.
Mais si la ruine de l’État est le résultat inévitable d’une telle conduite, on en voit naître bien plus souvent encore la perte des citoyens chargés de diriger de semblables entreprises : car le peuple, trouvant la défaite là où il comptait sur la victoire, n’en accuse ni la fortune ni les faibles moyens de celui qui dirigeait la guerre, mais sa lâcheté et son ignorance ; et trop souvent il lui fait payer sa propre faute de la mort, des fers ou de l’exil. Une foule de généraux de Carthage et d’Athènes en offrent la preuve : quelques victoires qui eussent couronné leurs entreprises, un seul revers suffisait pour tout effacer. C’est ce qui arriva à Antoine Giacomini, notre concitoyen : n’ayant pu s’emparer de Pise, comme le peuple l’espérait et comme lui-même l’avait promis, il encourut tellement la défaveur populaire, que, malgré tous les services qu’il avait autrefois rendus à la patrie, il dut la vie plutôt à l’humanité de ceux qui avaient en main l’autorité, qu’à tout autre motif qui le défendit auprès du peuple.