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XXXII
NICOLAS MACHIAVEL.

dans les républiques aussi bien que dans les monarchies. L’auteur enseigne à Tarquin comment on rive des fers, à Brutus, comment on les brise. Le mal et le bien, la vertu et le vice ne sont point pour le secrétaire de Florence des notions absolues, invariables, supérieure aux questions de nationalité et aux circonstances. Suivant les temps, les lieux et les hommes, le mal devient le bien, le bien devient le mal, selon que l’un ou l’autre triomphe. Sceptique enfant du grand siècle du scepticisme, Machiavel se place en observateur impassible au-dessus des républiques et des monarchies, au-dessus de tous les dévouements et de toutes les ambitions. Il ne voit que les faits, et, prenant les choses les plus saintes comme des instruments que l’habileté doit manier à son gré, il ne demande à l’histoire qu’une seule leçon, l’art de réussir. C’est cet athéisme du fait qui a frappé sa mémoire d’une solennelle réprobation, et cependant c’est là ce qui fait sa force et sa grandeur. Génie pénétrant et solitaire, isolé de tous ceux qui l’ont précédé comme de tous ceux qui l’ont suivi, en cherchant à montrer comment l’homme se fait à lui-même sa destinée, il a mis à nu tous les mystères des secrets immoraux ; dans son indiscrétion, il a tracé une effrayante satire de la perversité humaine ; et comme la profondeur de sa pensée dépassait toujours ses intentions, en écrivant le code des parvenus du genre humain, il a déchiré tous les voiles de l’imposture.

CHARLES LOUANDRE.