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XXXI
NICOLAS MACHIAVEL.

que l’illustre historien démocrate, Jean de Muller, s’est rencontré dans l’éloge avec M. Artaud, qui, à force d’exagérer l’orthodoxie politique et religieuse de l’auteur du Prince, en est arrivé à le traiter avec toute la considération que méritait à ses yeux un défenseur de l’autel et du trône.

On le voit, la postérité a épuisé pour Machiavel l’admiration et la haine. Faut-il se ranger du côté de ceux qui admirent ou de ceux qui maudissent ? Il nous semble qu’on peut à la fois maudire et admirer, parce qu’il y a dans le secrétaire de Florence deux hommes entièrement distincts, l’homme de la renaissance et le courtisan des Médicis.

Homme de la renaissance, Machiavel entrevoit le premier l’unité de l’Italie ; le premier il brise avec cette politique qui remonte jusqu’au pacte de Charlemagne, et qui place la péninsule, comme une proie toujours déchirée, entre l’ambition des papes et l’ambition des empereurs. Contemporain de Luther et de Pomponat, il engage à côté d’eux une guerre à outrance contre la tradition du moyen âge ; il crée la politique expérimentale en la formulant comme un théorème géométrique ; il analyse avant Montesquieu les causes de la grandeur de Rome, et, dépassant le but qu’il se propose, il écrit par anticipation l’histoire de l’avenir, et trace à son insu la théorie des révolutions modernes avec une telle puissance, une intuition si profonde, une connaissance si parfaite des instincts et des passions des hommes, que les événements, à la distance de trois siècles, se développent d’après les lois qu’il a fixées.

Courtisan des Médicis, il donne dans le livre du Prince une théorie complète du succès à l’usage de ceux qui veulent tromper les peuples ; il enseigne comment l’égoïsme, aidé par l’intelligence et l’habileté, peut exploiter, dans l’art du gouvernement, la religion, la vertu, la crédulité, la bonne foi et les diverses classes, les plus élevées comme les plus humbles, qui constituent un État ; enfin, il nomme de son nom cette politique de l’astuce et de la ruse, qui fut de son temps celle de son pays, et qui substitue l’intérêt d’un seul à l’intérêt de tous.

Ainsi le Prince et les Discours sur Tite-Live ne sont en réalité qu’une casuistique en partie double où se trouve analysé, discuté, prévu, prophétisé tout ce qui peut surgir dans les affaires humaines,