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chapitre qui traite du dictateur, j’aie avancé que les seuls magistrats dangereux pour la liberté sont ceux qui s’emparent eux-mêmes du pouvoir, et non ceux que nomme le peuple, néanmoins ce dernier, quand il établit de nouveaux magistrats, doit les instituer de manière à ce qu’ils éprouvent quelque crainte à se laisser corrompre.

Une surveillance active aurait dû entourer sans cesse les décemvirs, et les maintenir dans le devoir ; les Romains ne les surveillèrent pas. Ils devinrent dans Rome l’unique tribunal ; tous les autres furent abolis. Et, comme nous l’avons déjà dit, c’est ainsi que l’extrême désir qu’avaient, et le sénat d’abolir les tribuns, et le peuple de détruire les consuls, aveugla tellement le peuple et le sénat, qu’ils ne balancèrent point à concourir tous deux au désordre général.

Aussi, le roi Ferdinand disait que les hommes imitent souvent ces faibles oiseaux de rapine, qui poursuivent avec un tel acharnement la proie que la nature leur indique, qu’ils ne s’aperçoivent pas d’un autre oiseau plus fort et plus puissant qui s’élance sur eux pour les déchirer.

On verra donc par ce que je viens de dire, ainsi que je me l’étais proposé en commençant ce chapitre, dans quelles fautes le désir de sauver la liberté précipita le peuple romain, et celles que commit Appius pour s’emparer de la tyrannie.



CHAPITRE XLI.


Passer subitement de la modestie à l’orgueil, de la clémence à la cruauté, sans intermédiaire, c’est une conduite imprudente et sans but.


Parmi les moyens dont Appius se servit imprudemment pour conserver la tyrannie, un des plus remarquables