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XXIX
NICOLAS MACHIAVEL.

dit M. Ferrari, Bayle arrive ; il cite l’apologie d’Amelot, et il n’a qu’à la développer pour l’anéantir. En suivant les maximes de Machiavel, les plus innocents, dit Bayle, par le seul exercice de la royauté, apprendront le crime… Ces maximes sont très-mauvaises ; le public en est si persuadé que le machiavélisme et l’art de régner tyranniquement sont deux termes de même signification. — Voilà le mot de machiavélisme qui paraît pour la première fois. C’est Bayle qui le prononce, c’est une révolution qui s’annonce. La monarchie de Louis XIV réhabilite Machiavel, et la philosophie se sert de Machiavel pour fronder la monarchie[1]. » On le voit, Montaigne a raison, la chicane s’alonge. La guerre recommence au dix-huitième siècle, et cette fois les plus illustres combattants descendent dans la lice. Voltaire proclame l’auteur du Prince et des Discours sur Tite-Live un législateur immortel. Le grand Frédéric, qui n’était encore que le prince royal de Prusse, proteste contre ce jugement ; il conçoit le projet de réfuter Machiavel, et pour cette œuvre il réclame la collaboration de Voltaire lui-même. Celui-ci, courtisan à l’excès, ne crut point devoir refuser son concours, et de ce double travail, du philosophe qui approuvait souvent et du prince qui blâmait toujours, il résulta un livre insignifiant, l’Antimachiavel, qui n’a pas même, comme celui de Gentillet, le mérite d’être une œuvre d’à-propos, inspirée par une colère sincère ; car, ainsi que le remarque avec raison Ginguené, « le roi de Prusse, dans les affaires politiques, parut se rappeler quelquefois l’auteur qu’il avait réfuté, bien plus que la réfutation qu’il en avait faite. » Le livre de Frédéric n’eut aucune portée, et la société sceptique du dix-huitième siècle, après l’avoir lu, se contenta de dire que la politique de Machiavel était celle des personnes de qualité. Tout à coup une voix puissante s’élève et domine. « L’intérêt personnel des princes, dit Rousseau, est que le peuple soit faible, misérable et qu’il ne puisse jamais leur résister… Les princes donnent toujours la préférence à la maxime qui leur est le plus immédiatement utile. C’est ce que Samuel représentait fortement aux Hébreux ; c’est ce que Machiavel a fait voir

  1. Machiavel juge des révolutions p. 97 et 98.
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