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approfondit les événements du passé de prévoir ceux que l’avenir réserve à chaque État, d’y appliquer les remèdes dont usaient les anciens, ou, s’il n’en existe pas qui aient été employés, d’en imaginer de nouveaux d’après la similitude des événements. Mais comme on néglige ces observations, ou que celui qui lit ne sait point les faire, ou que s’il les fait, elles restent inconnues à ceux qui gouvernent, il en résulte que les mêmes désordres se renouvellent dans tous les temps.

Après l’année 1494, la ville de Florence ayant perdu une partie de ses possessions, telles que Pise et quelques autres villes, on se vit forcé de faire la guerre à ceux qui s’en étaient rendus maîtres, et comme ces nouveaux possesseurs étaient puissants, il en résulta pour l’État des frais énormes sans aucun avantage ; ces grandes dépenses entraînèrent des charges plus pesantes encore, qui excitèrent de toutes parts les murmures du peuple. Comme cette guerre était dirigée par un conseil de dix citoyens, que l’on nommait les dix de la guerre, la multitude commença à concevoir contre eux de violents soupçons, comme s’ils eussent été les seuls moteurs des hostilités et des dépenses qu’elles occasionnaient ; on crut que si l’on abolissait cette magistrature, on étoufferait les causes de la guerre ; en conséquence, lorsqu’arriva l’époque du renouvellement des dix, on ne procéda point aux élections, et après avoir laissé expirer leur commission, on en confia les pouvoirs à la seigneurie. Cette résolution eut les suites les plus funestes ; car non-seulement elle ne mit point de terme à la guerre, comme l’universalité des citoyens l’espérait, mais elle éloigna les hommes qui la dirigeaient avec sagesse. C’est ainsi qu’outre la ville de Pise on perdit Arezzo et une foule d’autres cités. Le peuple reconnut alors son erreur ; il vit que la cause de son mal était la fièvre, et non le médecin, et il rétablit le conseil des dix.