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XXVIII
NICOLAS MACHIAVEL.

complice de Luther, comme il était le complice de Catherine dans la Saint-Barthélemy. L’auteur du Prince avait rencontré les protestants pour adversaires ; cette fois ce sont les jésuites qu’il rencontre. Osorio, Possevin, Ribadeneira, Bosio continuent contre lui la croisade commencée par Gentillet. Les jésuites d’Ingolstadt le brûlent en effigie, et cependant Machiavel, maudit et insulté, n’en est encore que plus puissant. Il règne avec Henri III sur la cour de France[1]. Ses admirateurs sont aussi nombreux que ses adversaires. Trois traductions successives, précédées chacune d’une apologie, le popularisent en France, de 1553 à 1577, en même temps que Conringius, dans la traduction latine du Prince, prend ouvertement et très-vivement sa défense. Ainsi, dans le seizième siècle, il fut tour à tour ou simultanément approuvé par la cour de Rome, proscrit par cette même cour et par un concile, attaqué par les protestants, attaqué par les jésuites, consulté comme un guide infaillible par les rois et les gens de cour, et défendu par les écrivains qui représentaient alors l’école des publicistes royalistes.

Sous Richelieu, sous Louis XIV, l’école protestante et les jésuites continuent leurs attaques, et par une bizarrerie singulière ces derniers adressent à Machiavel les reproches que Pascal leur adresse à eux-mêmes. Des défenseurs nouveaux se dressent encore en face des nouveaux antagonistes. Un attaché à l’ambassade française de Venise, Amelot de la Houssaye, publie une quatrième traduction précédée d’une apologie pompeuse, dans laquelle, tout en élevant la raison d’État au-dessus de la morale, il présente le secrétaire florentin comme le maître dans l’art de régner[2]. « Bientôt,

  1. « Henri III, dit le père Daniel, avait pris grand goût aux livres de Machiavel, dont un gentilhomme nommé Du Guast, qui tenait un des premiers rangs parmi ses favoris, l’avait fort entêté, et sur lesquels ce prince avait commencé à se faire un système de politique, même avant que d’aller prendre possession de la couronne de Pologne. » Le père Daniel ajoute : « Une profonde et constante dissimulation et la maxime d’aller à ses fins par les voies qui paraissent s’en écarter davantage, sont deux grands principes du machiavélisme. L’usage renfermé dans de certaines bornes pourrait n’en être pas criminel ; tout dépend de l’application qu’on en fait et de la qualité des moyens que les princes employent pour cacher leurs vices à leurs ennemis.»
    Hist. de France, Paris, 1756, in-4o, t. XI, p. 33.
  2. Il existe du dix-septième siècle une autre apologie de Machiavel généralement attribuée à Naudé et restée inédite. Elle se trouve dans la bibliothèque nationale, fonds du roi, no 7109. M. Artaud en a donné de longs extraits. Voyez Machiavel, t. II, p. 836.