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ceux auxquels ils commandaient la veille, et de servir dans l’armée qui les avait eus pour généraux, coutume entièrement opposée à la manière de voir, aux institutions et aux mœurs des peuples de nos jours. Venise elle-même nourrit ce faux préjugé, qu’un citoyen se déshonore en acceptant un emploi inférieur, après en avoir rempli un plus important, et le gouvernement lui permet de le refuser. Cette conduite, fût-elle honorable dans un particulier, n’a rien d’avantageux pour le bien général, parce qu’une république doit concevoir plus d’espérances, et attendre davantage d’un citoyen qui, d’un rang supérieur, descend à un emploi moins élevé, que de celui qui, d’un emploi moins élevé, monte à un rang supérieur ; car ce dernier ne peut raisonnablement inspirer la confiance qu’autant qu’on le verra environné d’hommes dont la vertu inspire un tel respect, que son inexpérience puisse être dirigée par la sagesse et l’autorité de leurs conseils.

Si, à Rome, comme à Venise et dans les autres États modernes, un citoyen, après avoir été consul, n’avait plus voulu servir dans l’armée qu’à ce même titre, que serait-il arrivé ? Rome aurait vu naître une foule d’atteintes à la liberté, soit par l’effet des erreurs dans lesquelles des hommes sans expérience n’auraient pas manqué de tomber, soit parce que ces hommes nouveaux, délivrés de la présence des citoyens dont le regard leur eût fait craindre de commettre une faute, se seraient livrés avec moins de retenue à leur ambition. C’est ainsi qu’ils auraient bientôt commencé à relâcher les liens de la loi, et la république en aurait cruellement souffert.