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XXVII
NICOLAS MACHIAVEL.

contre l’Angleterre les foudres de l’Église, et en lançant contre Henri VIII une imprécation dans laquelle ce prince est traité de Machiavel. C’est dans cette imprécation que le Florentin est signalé pour la première fois comme un ennemi du genre humain qui avait écrit le livre du Prince avec les doigts de Satan. L’éveil était donné. Un théologien dominicain, Catarine, archevêque de Conza, lança bientôt un nouvel anathème dans un opuscule intitulé : De libris a christiano detestandis et a christianismo penitùs eliminandis.

En 1559, le pape Paul IV, sans se préoccuper du privilége de Clément VII, fit inscrire les œuvres de Machiavel sur l’index des ouvrages prohibés. En 1564, cette prohibition fut confirmée par le concile de Trente. Dès ce moment, ces ouvrages que vient de frapper l’Église semblent grandir par la réprobation. Sixte-Quint, qui maintient contre le secrétaire de Florence l’anathème de ses prédécesseurs, le commente et le pratique en secret. Les Médicis, qui retrouvent dans le Prince un livre composé comme un traité spécial pour leur famille, s’en inspirent en dirigeant les affaires de France. Machiavel a développé la casuistique des grands crimes d’État ; il ordonne au prince qui veut se débarrasser de ses ennemis de frapper sans menacer, d’exterminer sans que la persécution traîne. Catherine, dans la nuit de la Saint-Barthélemy, frappe sans avoir menacé ; elle extermine un parti comme on tue un homme, d’un seul coup. Évidemment Catherine a lu Machiavel. Elle a appris, dans le livre de sa famille, dans le bréviaire de sa cour, comment on se débarrasse de ses ennemis sans que la persécution traîne. Aux yeux des protestants, c’est Machiavel qui a sonné le tocsin du massacre, et la réforme s’arme de ses livres pour déclarer avec Gentillet que c’est Machiavel et sa doctrine qui règnent dans le catholicisme. — De leur côté, les papistes, partout où le protestantisme s’insurge contre Rome, partout où la réforme obtient un triomphe, accusent Machiavel d’avoir enseigné la révolte aux disciples de la nouvelle Église.

Machiavel a osé attribuer à la cour de Rome non-seulement le morcellement de l’Italie, ses longues agitations, mais même la perte de ses mœurs et celle de sa religion. Rome est pour lui, comme pour Luther, la prostituée de l’Apocalypse. Ici, il est le