Page:Œuvres politiques de Machiavel.djvu/249

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

n’avaient pas prévu tous les dommages que pouvait leur apporter cet état nouveau, commencèrent, mais trop tard, à reconnaître leur erreur ; ils voulurent remédier alors à ce qu’ils n’avaient point su empêcher dès le principe, et plus de quarante peuples conjurèrent la perte de Rome. Les Romains alors, entre autres remèdes qu’ils avaient coutume d’employer dans leurs dangers les plus pressants, prirent le parti de créer un dictateur, c’est-à-dire de donner à un simple citoyen le droit de prendre une résolution sans consulter l’avis de personne, et de l’exécuter sans qu’on pût en appeler. Cette mesure, qui fut utile en cette occasion et fit surmonter les périls les plus imminents, fut également de la plus grande utilité dans toutes les circonstances critiques qu’amena l’agrandissement de l’empire, pour repousser les périls qui menacèrent tant de fois l’existence de la république.

Cette circonstance me fournit d’abord l’occasion d’établir que, quelle que soit la cause des dangers qui menacent une république, soit au dedans, soit au dehors, si ces dangers s’accroissent de manière à donner à tout citoyen des motifs de trembler, c’est un parti plus sûr de temporiser avec le mal que de chercher à l’étouffer sur-le-champ. Les efforts qu’on fait pour le détruire ne font qu’ajouter à ses forces et qu’en précipiter l’explosion.

Les accidents de cette nature que l’on signale au sein des républiques dérivent plutôt de quelque source intérieure que d’une cause étrangère ; ils naissent le plus souvent ou de ce qu’on souffre qu’un citoyen prenne une plus grande autorité qu’il n’est convenable, ou de ce qu’on laisse altérer une loi qui était le nerf et la vie de la liberté. On souffre que le mal s’étende au point qu’il devient plus dangereux de tenter d’y remédier, que de l’abandonner à son cours. Il est d’autant plus difficile de discerner ces dangers à leur naissance, que les hommes ont un penchant naturel qui les porte à favoriser toutes