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XXVI
NICOLAS MACHIAVEL.

époque, admirer et maudire, par les uns comme le précepteur des hommes d’État et des historiens, par les autres comme le théoricien du crime.

Dans le Traité du prince, Machiavel écrivit pour les Médicis. Dans ses Discours sur Tite-Live, il écrit pour la république de Florence, et de la sorte il donne tout à la fois la théorie du despotisme et la théorie de la liberté.

L’auteur du Prince était mort dans l’obscurité, méconnu en Italie, ignoré de l’Europe. Ses écrits politiques, qui n’étaient point destinés à la foule, avaient été composés comme les traités d’une science occulte qui demandait le mystère. Mais, peu d’années après sa mort, ils furent publiés, ainsi que l’Histoire de Florence, revêtus d’un privilége du pape Clément VII et sortant des presses de la chambre pontificale. Dès ce moment, Machiavel, arraché au silence de sa tombe, fut ballotté par tous les partis au nom de la politique, de la morale et de la religion, entre l’infamie et la gloire. Montaigne, dans ses Essais, avait déjà le pressentiment de cette longue controverse qui s’est prolongée jusqu’à notre temps, et il l’annonçait en ses termes : « Les Discours de Machiavel, pour exemple, estoient assez solides pour le subject : si y a-t-il grand’aysance à les combattre : et ceux qui l’ont faict, n’ont pas laissé moins de facilité à combattre les leurs : il s’y trouveroit toujours à un tel argument, de quoi y fournir à responces, dupliques, répliques, tripliques, quadrupliques, et cette infinie contexture de débats que notre chicane a alongés, tant qu’elle a peu, en faveur des procez :

« Cœdimur, et totidem plagis consumimus hostem. »

Machiavel, qu’un pape avait reconnu orthodoxe, déclarait qu’une religion nouvelle était possible ; que la fondation d’un dogme était une affaire d’intelligence et d’habileté, et il plaçait Moïse, Numa et Jésus-Christ sur la même ligne. Or, au seizième siècle, de nouveaux apôtres enlevaient à la Rome pontificale l’Angleterre et l’Allemagne. Henri VIII, en se révoltant contre la papauté, envoyait à l’échafaud ceux de ses sujets qui s’étaient révoltés contre sa couronne au nom du catholicisme. La famille du cardinal Pelo avait été sacrifiée : ce prélat avait pris la fuite en invoquant