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religion des gentils, mais ils furent une des sources de la grandeur de la république romaine. Aussi c’était de toutes les institutions religieuses celle à laquelle les Romains attachaient le plus d’importance. L’ouverture des comices, les commencements de toutes les entreprises, l’entrée des armées en campagne, le moment de livrer bataille, enfin toute affaire importante, soit civile, soit militaire, rien ne se faisait sans prendre les auspices, et jamais on n’eût entrepris une expédition sans persuader aux soldats que les dieux leur promettaient la victoire.

Parmi les augures, il y avait les gardiens des poulets sacrés, qui suivaient toujours les armées. Lorsqu’on se disposait à livrer bataille à l’ennemi, ces gardiens prenaient les auspices. Ils étaient bons si les poulets mangeaient avec avidité, et alors on combattait avec confiance ; si au contraire ils refusaient la nourriture, on s’abstenait d’en venir aux mains. Néanmoins, quand la raison faisait sentir la nécessité d’une entreprise, quoique les auspices fussent contraires, on ne laissait pas de l’exécuter ; mais on avait soin de s’y prendre de manière à ne pas être accusé de mépris pour la religion.

C’est ainsi que se conduisit le consul Papirius lors d’une bataille très-importante contre les Samnites, qui acheva d’affaiblir et d’abattre ce peuple redoutable. Papirius était campé en face des Samnites ; la victoire lui paraissait certaine s’il pouvait leur livrer bataille ; impatient de profiter d’une circonstance aussi favorable, il ordonna aux gardiens des poulets sacrés de prendre les auspices ; mais les poulets refusèrent de manger. Le chef des gardiens, voyant l’ardeur des troupes pour le combat, et la conviction où étaient le général et l’armée de vaincre, ne voulut pas faire perdre l’occasion d’un aussi grand succès ; il fit dire au consul que les auspices étaient favorables. Mais tandis que Papirius rangeait son armée en ordre, quelques-uns des gar-