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XXIV
NICOLAS MACHIAVEL.

barbares, et en 1502, à Rouen, dans l’une de ses légations en France, il exhorte le premier ministre de Louis XII, le cardinal d’Amboise, à étendre la conquête française en Italie. Il veut plus encore : il veut que Louis XII dépossède les Lombards de leurs terres, qu’il les chasse de leurs villes, et qu’il donne leurs biens à des colons français. Aussi, après l’avoir entendu, le cardinal d’Amboise disait-il : Les Italiens n’entendent rien aux affaires de la guerre. Homme de la renaissance italienne, il assiste au triomphe de la papauté et de l’Empire, favorisé par une double insurrection guelfe et gibeline, et par deux guerres étrangères, sans saisir jamais la raison des événements, et quand il veut prévoir, il se trompe toujours. « Dans la première de ces guerres, dit M. Ferrari, la France releva les Guelfes et restaura la papauté ; dans la seconde, la papauté restaurée releva les Gibelins et constitua l’Empire. Louis XII décida du premier mouvement, Jules II du second, Charles-Quint fixa le résultat. Machiavel s’est abusé sur tout. Pendant la guerre française, il n’a pas vu les Guelfes, il n’a pas pressenti les pontifes ; il fallait favoriser la conquête française, il voulait agrandir les conquêtes des Borgia. Pendant la guerre pontificale, il n’a pas vu les Gibelins, il n’a pas pressenti les empereurs : en présence de Jules II, il rêvait les coups d’État des seigneurs ; en présence de la ligue de Cambrai, il croyait aux forces de Venise ; en présence de la restauration florentine, il voulait tuer le tyran. Lorsque Maximilien Ier exerçait ses droits, en 1513, Machiavel ne redoutait que les Suisses ; quand Charles-Quint triomphait, il voulait défendre la renaissance par un pape ; quand la renaissance était aux abois, il conseillait au pape de la trahir[1]. » M. Ferrari ajoute avec raison que Machiavel a complétement méconnu son époque, et il le compare à ces damnés qu’une légende du moyen âge nous montre connaissant le passé et l’avenir, mais ignorant le présent. C’est aussi l’opinion de Ginguené, suivant lequel « il fut, malgré tout son génie, comme ces écrivains qui mettent toute leur expérience dans leurs livres et n’en convertissent point les fruits à leur usage. » Ce n’est donc point dans sa vie, mais dans ses œuvres qu’il faut chercher sa grandeur et le secret de sa gloire.

  1. Machiavel juge des révolutions, p. 74, 75.