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CHAPITRE XXIII.


On ne doit pas mettre en danger toute sa fortune sans déployer en même temps toutes ses forces ; et c’est pourquoi il est souvent dangereux de garder les passages.


On doit regarder comme une extrême imprudence d’exposer toute sa fortune sans déployer en même temps toutes ses forces ; ce qui a lieu de plusieurs manières.

L’une est d’agir comme Tullus et Métius, qui firent dépendre toute la fortune de leur patrie, et la valeur de tant de guerriers qui composaient leurs armées, du courage et du bonheur de trois de leurs concitoyens, bien faible portion des forces de chacune d’entre elles. Ils ne s’aperçurent pas que, par cette mesure, toutes les peines que s’étaient données leurs prédécesseurs pour établir l’État, lui assurer une existence libre et prolongée, et créer des citoyens défenseurs de leur propre liberté, s’évanouissaient pour ainsi dire, en remettant à un si petit nombre de mains toutes les chances de la fortune. Il était impossible à ces rois de prendre un parti plus imprudent.

Ce même inconvénient a presque toujours lieu encore, lorsque, pour arrêter la marche de l’ennemi, on se détermine à défendre les endroits difficiles, et à garder les passages. Une telle résolution sera dangereuse chaque fois que l’on ne pourra pas établir commodément toutes ses forces dans les lieux dont la défense est difficile. Si ce dernier parti est possible, il faut le suivre ; mais si le lieu est d’un rude accès, et qu’on ne puisse y tenir toute une armée, ce parti devient dangereux. Ce qui m’a donné cette opinion, c’est l’exemple de tous ceux qui, attaqués par un ennemi puissant, dans un pays entouré de montagnes escarpées et de lieux arides, n’ont jamais