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XXIII
NICOLAS MACHIAVEL.

Ginguené dit à son tour : « On a vu que dans toutes les légations qu’il avait remplies, il ne paraissait qu’avec son titre ordinaire sans porter jamais celui d’ambassadeur, et tantôt pour aider des ambassadeurs en titre dans des affaires difficiles, tantôt en attendant qu’un ambassadeur parti ou rappelé fût remplacé par un autre[1]. » En d’autres termes, Machiavel faisait des intérim.

C’est en vain que le secrétaire cherche à fixer l’attention en multipliant les projets de gouvernement et de réforme. Ses projets ne dépassent pas la portée d’une œuvre littéraire ; ses plans restent sur le papier, et tout se borne pour Florence à l’organisation de quelques compagnies d’infanterie. Il n’est ni l’homme d’un parti, ni l’homme d’un événement. Il sert tour à tour la république ou le gouvernement des Médicis ; mais dans l’un et l’autre cas, quoique tourmenté du besoin de parvenir, il passe sa vie au milieu des grands sans pouvoir jamais grandir lui-même. Son rôle, au milieu des conspirations qui agitent son pays, est tellement effacé qu’on ne sait pas même s’il a été conspirateur, et, s’il a réellement conspiré, les Médicis, qui sacrifient ses complices, l’épargnent, sinon comme un homme insignifiant, du moins comme un homme peu dangereux ou seulement compromis par imprudence.

Il y a plus encore. Machiavel, ce génie si profond, qui, s’emparant de tous les faits de l’histoire, pénètre dans tous les secrets de la politique, et qui réduit en une sorte d’algèbre l’art de gouverner ou plutôt de réussir dans le gouvernement ; Machiavel, placé au milieu des événements de son temps, perd complétement la notion des effets et des causes, parce qu’il reste toujours l’homme du fait, l’homme du succès, étranger à toute foi et à tout principe. Le premier il entrevoit le système de l’unité italienne ; le premier il pousse le cri de guerre : Il faut chasser les barbares ! et par une singulière défaillance de son génie, il n’aperçoit pas la double restauration impériale et pontificale qui s’accomplit autour de lui, et qui brise cette unité pour laquelle, trois siècles plus tard, l’Italie doit donner encore le sang de ses plus nobles enfants. Il accuse la papauté de tous les maux qui pèsent sur la péninsule, et il ne soupçonne pas la puissance du parti guelfe. Il veut qu’on chasse les

  1. Ginguené, Hist. litt d’Italie. Paris, 1828, in-8o, t. VIII, p. 38.