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l'un, qu’il avait détourne les deniers de l’État ; de l’autre, qu’il n’avait point remporté la victoire pour s’être laissé corrompre ; et de celui-ci, que son ambition avait été cause de tel ou tel malheur. Il en résultait de chaque côté de l’animosité ; on en venait bientôt à une rupture ouverte, de la rupture aux factions, et des factions à la ruine de l’État.

S’il y avait eu dans Florence une loi qui eût permis d’accuser les citoyens, en punissant les calomniateurs, on n’eût point vu tous les désordres qui, par la suite, éclatèrent dans cette ville. Que ces citoyens eussent été condamnés ou absous, ils n’auraient pu devenir dangereux pour l’État ; d’ailleurs le nombre des accusés eût été toujours moins considérable que celui des calomniés ; car on ne peut, ainsi que je l’ai dit, accuser aussi facilement que calomnier. Parmi les moyens dont s’est prévalu plus d’un ambitieux pour arriver aux grandeurs, la calomnie ne fut pas un des moins efficaces. Ces ambitieux la répandaient avec adresse contre les hommes puissants qui s’opposaient à leur avidité, et elle servait merveilleusement leurs projets ; car en prenant le parti du peuple, dont ils entretenaient ainsi la jalousie contre tout ce qui s’élève, ils parvenaient sans peine à capter son affection. Je pourrais citer plusieurs exemples à l’appui de ce que j’avance ; je me contenterai d’un seul.

L’armée de Florence faisait le siége de Lucques sous le commandement de messer Giovanni Guicciardini, commissaire de la république. Soit par suite des mauvaises dispositions qu’on avait prises, soit que le malheur poursuivît les Florentins, le sort voulut qu’on ne pût prendre Lucques. De quelque manière que cet événement fût arrivé, on en rejeta la faute sur messer Giovanni ; on lui reprocha de s’être laissé corrompre par les Lucquois ; et ses ennemis ayant appuyé cette calomnie, il en tomba presque dans le désespoir. En vain, pour se justifier, il offrit de se constituer prisonnier entre les mains du ca-