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de l’État. On en a vu la preuve après la mort de Philippe Visconti, lorsque Milan, voulant recouvrer sa liberté. ne put ni ne sut la maintenir.

Ce fut un grand bonheur pour Rome, que ses rois eussent dégénéré si promptement qu’on pût les chasser avant que leur corruption eût pénétré les entrailles de l’État ; et cette corruption fut cause que les nombreux désordres qui survinrent dans Rome, loin d’avoir des résultats funestes, lui furent au contraire avantageux, parce que les intentions des citoyens étaient bonnes.

On peut donc conclure que partout où la masse du peuple est saine, les désordres et les tumultes ne sauraient être nuisibles ; mais, lorsqu’elle est corrompue, les lois même les mieux ordonnées sont impuissantes, à moins que, maniées habilement par un de ces hommes vigoureux dont l’autorité sait les faire respecter, elles ne tranchent le mal jusque dans sa racine.

Je ne sais si ce prodige s’est jamais offert, ou s’il est même possible qu’il arrive. S’il se faisait qu’une ville, entraînée vers sa ruine par la corruption de ses habitants, vînt à se relever de sa chute, ce n’est qu’à la vertu d’un homme existant à cette époque qu’on pourrait attribuer un tel bienfait, et non à la volonté générale du peuple de voir régner de bonnes institutions ; et à peine la mort aurait-elle frappé ce réformateur, que la foule reviendrait à ses anciennes habitudes. C’est ce qu’on vit à Thèbes. Tant qu’Épaminondas vécut, la vertu de ce grand homme lui conserva l’empire de la Grèce et une forme de gouvernement ; mais à peine fut-il mort, qu’elle retomba soudain dans ses premiers désordres. En effet, il n’est point d’homme dont la vie soit assez longue pour suffire à la réforme d’un gouvernement longtemps mal organisé ; et si cette réforme n’est pas l’ouvrage d’un prince dont la vie se prolonge au delà du terme ordinaire, ou de deux règnes également vertueux ; si cette hérédité de bons princes vient à manquer, il faut nécessairement