Page:Œuvres politiques de Machiavel.djvu/174

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ne rien perdre, ou celui qui veut acquérir, attendu que ces deux passions peuvent être la source des plus grands désastres.

Cependant, les troubles sont le plus souvent excités par ceux qui possèdent : la crainte de perdre fait naître dans les cœurs les mêmes passions que le désir d’acquérir ; et il est dans la nature de l’homme de ne se croire tranquille possesseur que lorsqu’il ajoute encore aux biens dont il jouit déjà. Il faut considérer, en outre, que plus ils possèdent, plus leur force s’accroît, et plus il leur est facile de remuer l’État ; mais ce qui est bien plus funeste encore, leur conduite et leur ambition sans frein ’allument dans le cœur de ceux qui n’ont rien la soif de la possession, soit pour se venger en dépouillant leurs ennemis, soit pour partager ces honneurs et ces richesses dont ils voient faire un si coupable usage.



CHAPITRE VI.


Si l’on pouvait établir dans Rome un gouvernement qui fit cesser les inimitiés qui partageaient le peuple et le sénat.


Nous avons exposé précédemment les effets que produisaient les querelles entre le peuple et le sénat. En considérant actuellement celles qui s’élevèrent jusqu’au temps des Gracques, où elles causèrent la ruine de la liberté, on pourrait désirer que Rome eût exécuté les grandes choses qui l’ont illustrée, sans qu’il s’y fût mêlé de semblables inimitiés. Toutefois il me semble que c’est une chose digne de considération, de savoir si l’on pouvait fonder dans Rome un gouvernement qui pût ôter tout prétexte à ces dissensions. Pour asseoir un jugement certain, il faut nécessairement jeter un coup d’œil sur ces républiques, qui, exemptes de haine et de discorde, n’en ont pas moins joui d’une longue liberté ; voir quel