Page:Œuvres politiques de Machiavel.djvu/15

Cette page a été validée par deux contributeurs.
XVII
NICOLAS MACHIAVEL.

Tout se borne pour moi à des conversations délicieuses dont je rends grâce à Vénus et à Chypre tout entière. »

Cette lettre et l’aventure qu’elle mentionne ont excité la susceptibilité de quelques écrivains qui, après avoir fait de Machiavel un auteur très-orthodoxe, ont aussi voulu en faire à tout prix le modèle de la fidélité conjugale. Quelques-uns même ont été jusqu’à dire que Vénus et Chypre n’étaient qu’une allégorie par laquelle le secrétaire florentin exprimait la poésie et l’étude ; d’autres, comme M. Artaud, ne voulant point signaler légèrement un époux sans réserve, un père donnant de mauvais exemples à ses enfants, se sont bornés à féliciter Machiavel d’avoir su trouver un secret pour oublier ses désastres. Cela justifie pleinement cette opinion de l’un des auteurs de l’Anthologie de Florence, M. Montani, que, « pour les uns, Machiavel est un être demi-fabuleux, et pour d’autres, au moins un être énigmatique. » Nous ajouterons que, pour quiconque veut juger sans prévention et sans se laisser égarer par cette manie des commentaires qui obscurcit les choses les plus claires, Machiavel est tout simplement un homme de génie, unissant, comme il arrive trop souvent, la grandeur de la pensée aux faiblesses de la nature humaine. Il n’est pas besoin de remonter au seizième siècle pour trouver ces sortes de contradictions non-seulement chez les poëtes ou les historiens, mais même chez les philosophes qui ne se bornent pas toujours à courtiser la sagesse.

Si vive qu’ait été la passion du secrétaire florentin, elle ne suffisait point cependant à consoler ses ennuis, ou peut-être lui causa-t-elle des ennuis nouveaux ; car nous le voyons bientôt demander des distractions à l’étude et à la retraite. Au mois de décembre 1513, il habitait une maison de campagne appelée la Strada, auprès de S. Casciano, sur le chemin de Florence à Rome. Que faisait-il dans cette habitation qui était encore pour lui la demeure de l’exil ? Il nous l’apprend dans une lettre adressée à Vettori. « Quiconque se gêne pour autrui, dit-il au début de cette lettre, se sacrifie lui-même sans qu’on lui en sache le moindre gré, » et, fidèle à cette maxime, Machiavel vit sans se gêner, en petit propriétaire plus encore qu’en sage. Il se lève le matin avant le soleil pour tendre comme Horace des piéges aux grives, turdis edacibus, et il en prend chaque jour de deux à sept. Il va dans ses

b