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AVANT-PROPOS

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Florence, au seizième siècle, avait, comme Athènes, ses jardins d’Acadème ; car, dans cette grande époque de la renaissance, l’antiquité, qui sortait jeune et brillante de ses ruines, laissait son empreinte, non-seulement sur les œuvres de l’esprit, mais encore sur les institutions et les habitudes de la vie civile. A Athènes on causait des dieux, de l’âme, de la nature, des mystères éternels, et tout citoyen libre, eût-il même un manteau troué, pouvait s’asseoir auprès du maître et se mêler à ses discours. A Florence, au contraire, quelques citoyens riches et privilégiés assistaient seuls au cénacle dans les magnifiques jardins Oricellari ; et comme si déjà le monde trop vieux avait désespéré d’atteindre cet idéal que poursuivaient les sages de la Grèce, on quittait les études abstraites et rêveuses qui marquent la jeunesse des peuples, pour s’arrêter à celles qui marquent leur virilité, l’histoire et la politique. Machiavel présidait à ces entretiens, entouré des Buondelmonti, des Alamanni, des Délia Palla, des Rucellai, ses amis et ses compatriotes, les admirateurs de son génie, les disciples de sa pensée. On causait de la grandeur éclipsée de l’Italie, de son abaissement présent, de ses espérances. Une science nouvelle jaillit des lèvres du maître. Machiavel écrivait après avoir causé, et, regardant l’avenir en même temps qu’il interrogeait le passé, il composa le plus profond de ses livres, les Discours sur la première Décade de Tite-Live.

Dans ce livre, les horizons de Machiavel se sont singulièrement élargis. « Ce n’est plus, dit avec raison Ginguené, sur les violentes usurpations de quelques petits tyrans de l’Italie moderne que l’auteur fixe ses regards pour apprendre à d’autres usurpateurs à les déposséder et à s’affermir à leur place ; mais sur les maîtres de l’Italie ancienne, qui devinrent les maîtres du monde... Depuis que les