Page:Œuvres politiques de Machiavel.djvu/134

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la guerre durant plusieurs années ; et si, à la fin, il dut perdre quelques villes, du moins il conserva son royaume.

Que ceux de nos princes qui, après une longue possession, ont été dépouillés de leurs États, n’en accusent donc point la fortune, mais qu’ils s’en prennent à leur propre lâcheté. N’ayant jamais pensé, dans les temps de tranquillité, que les choses pouvaient changer, semblables en cela au commun des hommes qui, durant le calme, ne s’inquiètent point de la tempête, ils ont songé, quand l’adversité s’est montrée, non à se défendre, mais à s’enfuir, espérant être rappelés par leurs peuples, que l’insolence du vainqueur aurait fatigués. Un tel parti peut être bon à prendre quand on n’en a pas d’autre ; mais il est bien honteux de s’y réduire : on ne se laisse pas tomber, dans l’espoir d’être relevé par quelqu’un. D’ailleurs, il n’est pas certain qu’en ce cas un prince soit ainsi rappelé ; et, s’il l’est, ce ne sera pas avec une grande sûreté pour lui, car un tel genre de défense l’avilit et ne dépend pas de sa personne. Or il n’y a pour un prince de défense bonne, certaine, et durable, que celle qui dépend de lui-même et de sa propre valeur.


Chapitre XXV.


Combien, dans les choses humaines, la fortune a de pouvoir, et comment on peut y résister.


Je n’ignore point que bien des gens ont pensé et pensent encore que Dieu et la fortune régissent les choses de ce monde de telle manière que toute la prudence humaine ne peut en arrêter ni en régler le cours : d’où l’on peut conclure qu’il est inutile de s’en occuper avec tant de peine, et qu’il n’y a qu’à se soumettre et à laisser tout conduire par le sort. Cette opinion s’est surtout propagée de notre temps par une conséquence de