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CHAPITRE XIX.

qui furent amis de la justice, ennemis de la cruauté, humains et bienfaisants, il n’y eut que le premier qui ne finit point malheureusement. Mais s’il vécut et mourut toujours honoré, c’est qu’ayant hérité de l’empire par droit de succession, il n’en fut redevable ni aux gens de guerre ni au peuple, et que d’ailleurs ses grandes et nombreuses vertus le firent tellement respecter, qu’il put toujours contenir tous les ordres de l’État dans les bornes du devoir, sans être ni haï ni méprisé.

Quand à Pertinax, les soldats, contre le gré de qui il avait été nommé empereur, ne purent supporter la discipline qu’il voulait rétablir après la licence dans laquelle ils avaient vécu sous Commode : il en fut donc haï. À cette haine se joignit le mépris qu’inspirait sa vieillesse, et il périt presque aussitôt qu’il eut commencé à régner. Sur quoi il y a lieu d’observer que la haine est autant le fruit des bonnes actions que des mauvaises ; d’où il suit, comme je l’ai dit, qu’un prince qui veut se maintenir est souvent obligé de n’être pas bon ; car lorsque la classe de sujets dont il croit avoir besoin, soit peuple, soit soldats, soit grands, est corrompue, il faut à tout prix la satisfaire pour ne l’avoir point contre soi ; et alors les bonnes actions nuisent plutôt qu’elles ne servent.

Enfin, pour ce qui concerne Alexandre-Sévère, sa bonté était telle, que, parmi les éloges qu’on en a faits, on a remarqué que, pendant les quatorze ans que dura son règne, personne ne fut mis à mort sans un jugement régulier. Mais, comme il en était venu à passer pour un homme efféminé, qui se laissait gouverner par sa mère, et que par là il était tombé dans le mépris, son armée conspira contre lui et le massacra.

Si nous venons maintenant aux empereurs qui montrèrent des qualités bien opposées, c’est-à-dire à Commode, Septime-Sévère, Antonin-Caracalla et Maximin, nous verrons qu’ils furent très cruels et d’une insatiable avidité ; que, pour satisfaire les soldats, ils n’épargnèrent