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LE PRINCE.

Sur cela on pourrait citer une infinité d’exemples, mais je me borne à un seul dont nos pères ont été les témoins.

Messire Annibal Bentivogli, aïeul de messer Annibal actuellement vivant, étant prince de Bologne, fut assassiné par les Canneschi, à la suite d’une conspiration qu’ils avaient tramée contre lui : il ne resta de sa famille que messer Giovanni, jeune enfant encore au berceau. Mais l’affection que le peuple bolonais avait en ce temps-là pour la maison Bentivogli fut cause qu’aussitôt après le meurtre il se souleva, et massacra tous les Canneschi. Cette affection alla même encore plus loin : comme après la mort de messer Annibal, il n’était resté personne qui pût gouverner l’État, et les Bolonais ayant su qu’il y avait un homme né de la famille Bentivogli qui vivait à Florence, où il passait pour le fils d’un artisan, ils allèrent le chercher, et lui confièrent le gouvernement, qu’il garda en effet jusqu’à ce que messer Giovanni fût en âge de tenir lui-même les rênes de l’État.

Encore une fois donc, un prince qui est aimé de son peuple a peu à craindre les conjurations ; mais s’il en est haï, tout, choses et hommes, est pour lui à redouter. Aussi les gouvernements bien réglés et les princes sages prennent-ils toujours très grand soin de satisfaire le peuple et de le tenir content sans trop chagriner les grands : c’est un des objets de la plus haute importance.

Parmi les royaumes bien organisés de notre temps, on peut citer la France, où il y a un grand nombre de bonnes institutions propres à maintenir l’indépendance et la sûreté du roi ; institutions entre lesquelles celle du parlement et de son autorité tient le premier rang. En effet, celui qui organisa ainsi la France, voyant, d’un côté, l’ambition et l’insolent orgueil des grands, et combien il était nécessaire de les réprimer ; considérant, de l’autre, la haine générale qu’on leur portait, haine enfantée par