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Qu’il couve dans son sein sa colère et sa joie ;
Que ses discours prudents distillent le venin,
Comme un abîme obscur que son cœur se reploie :
À terre, à deux genoux, qu’il rampe comme un nain !

Le christ à Nazareth, aux jours de son enfance,
Jouait avec la croix, symbole de sa mort ;
Mère du Polonais ! qu’il apprenne d’avance
À combattre et braver les outrages du sort.

Accoutume ses mains à la chaîne brûlante ;
Qu’il apprenne à traîner l’immonde tombereau,
À dresser le billot sous la hache sanglante,
À toucher sans rougir la corde du bourreau.

Car ton fils n’ira point, sur les tours de Solime,
Comme les chevaliers détrôner le croissant ;
Ni comme le Gaulois, planter l’arbre sublime
De la liberté sainte, et l’arroser de sang !

Il lui faudra combattre un tribunal parjure,
Un lâche, un espion le flétrit sans remord ;
Son témoin ? le bourreau dans la caverne impure
Son juge ? un ennemi ; sa sentence ? la mort…

La mort ! son monument et ses gloires funèbres ?
D’un gibet desséché les infâmes débris ;
Quelques pleurs d’une amante… et, parmi les ténèbres.
Les mornes entretiens de ses frères proscrits ! »


Cette voix, qui se mariait aux grondements de la rafale, et dont je recevais l’invisible émanation, semblait une prophétie menaçante sortie du sein de l’orage. Hélas ! elle ne s’est que trop réalisée dès l’année suivante : et le moderne Domitien s’est chargé d’en accomplir le sens le plus terrible !

Depuis, je n’ai jamais pu réciter ces stances, car je les ai retenues sans les apprendre, qu’aussitôt la nuit solennelle passée sur le Léman ne vint se représenter à ma mémoire ; et mes premiers vers français furent une traduction de la Mère polonaise, insérée en 1833 dans les Souvenirs de la Pologne.

Ce qui précède suffira pour faire entrevoir l’espèce de culte que j’ai voué à l’auteur de ces paroles, et partant les motifs qui m’ont fait entreprendre cet ouvrage. Maintenant, quelques mots sur le poëte lui-même.

L’influence que les écrits de Mickiewicz ont exercée sur les destinées de la Pologne est incalculable ; et les Slaves, cette troisième partie du monde chrétien, le considèrent généralement comme leur