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de
l’origine radicale des choses
1697

Outre le monde ou l’agrégat des choses finies, il y a quelque être unique qui gouverne, non-seulement comme l’âme en moi, ou plutôt comme le moi lui-même dans mon corps, mais avec une raison beaucoup plus élevée. Cet être unique souverain de l’univers ne régit pas seulement le monde, mais il le crée et le façonne, il est supérieur au monde, et pour ainsi dire extramondain, et, par là même, il est la dernière raison des choses. Car on ne peut trouver la raison suffisante de l’existence ni dans aucune chose particulière, ni dans tout l’agrégat ou l’ensemble. Supposons qu’il y ait eu un livre éternel des éléments de géométrie, et que les autres aient été successivement copiés sur lui, il est évident que, bien qu’on puisse rendre compte du livre présent par le livre qui en a été le modèle, on ne pourra cependant jamais, en remontant en arrière à autant de livres qu’on voudra, en venir à une raison parfaite ; car on a toujours à se demander pourquoi de tels livres ont existé de tout temps, c’est-à-dire pourquoi ces livres et pourquoi ils sont ainsi écrits. Ce qui est vrai des livres, l’est aussi des divers états du monde ; car malgré certaines lois de transformations, l’état suivant n’est en quelque sorte que la copie du précédent, et, à quelque état antérieur que vous remontiez, vous n’y trouvez jamais la raison parfaite, c’est-à-dire pourquoi il existe certain monde, et pourquoi ce monde plutôt que tel autre. Car vous avez beau supposer un monde éternel ; comme vous ne supposez qu’une succession d’états, et que dans aucun d’eux vous ne trouvez la raison suffisante, et même qu’un nombre quelconque de mondes ne vous aide en rien à en rendre compte, il est évident qu’il faut chercher la raison ailleurs. Car dans les choses éternelles, on doit comprendre que même en l’absence d’une cause, il y a une raison qui, pour les choses immuables, est la nécessité même ou l’essence ; quant à la série des choses changeantes, si l’on supposait qu’elles se succèdent éternellement cette raison serait, comme on le verra bientôt, la prévalence des inclinations qui consistent non dans des raisons nécessitantes, c’est-à-dire d’une nécessité absolue et métaphysique dont l’opposé implique contradiction, mais dans des raisons inclinantes. Il suit