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des notions innées

gonale est incommensurable avec le côté du carré. Pour ce qui est de la question en elle-même, elle me paraît démonstrativement résolue par la doctrine des monades, que j’ai mise ailleurs dans son jour, et nous parlerons plus amplement de cette matière dans la suite.

§ 6. Ph. Je vois bien que je vous objecterais en vain que l’axiome qui porte que le tout est plus grand que sa partie n’est point inné, sous prétexte que les idées du tout et de la partie sont relatives, dépendant de celles du nombre et de l’étendue : puisque vous soutiendrez apparemment qu’il y a des idées innées respectives et que celles des nombres et de l’étendue sont innées aussi.

Th. Vous avez raison et même je crois plutôt que l’idée de l’étendue est postérieure à celle du tout et de la partie.

§ 7. Que dites-vous de la vérité que Dieu doit être adoré ? est-elle innée ?

Th. Je crois que le devoir d’adorer Dieu porte que dans les occasions on doit marquer qu’on l’honore au delà de tout autre objet, et que c’est une conséquence nécessaire de son idée et de son existence ; ce qui signifie chez moi que cette vérité est innée.

§ 8. Ph. Mais les athées semblent prouver par leur exemple que l’idée de Dieu n’est point innée. Et sans parler de ceux dont les anciens ont fait mention, n’a-t-on pas découvert des nations entières qui n’avaient aucune idée de Dieu ni des noms pour marquer Dieu et l’âme ; comme à la baie de Soldanie, dans le Brésil, dans les îles Caribes, dans le Paraguay ?

Th. Feu M. Fabricius, théologien célèbre de Heidelberg, a fait une apologie du genre humain, pour le purger de l’imputation de l’athéisme. C’était un auteur de beaucoup d’exactitude et fort au-dessus de bien des préjugés ; cependant je ne prétends point entrer dans cette discussion des faits. Je veux que des peuples entiers n’aient jamais pensé à la substance suprême, ni à ce que c’est que l’âme. Et je me souviens que, lorsqu’on voulut à ma prière, favorisée par l’illustre M. Witsen, m’obtenir en Hollande une version de l’oraison dominicale dans la langue de Barantola, on fut arrêté à cet endroit : ton nom soit sanctifié, parce qu’on ne pouvait point faire entendre aux Barantolois ce que voulait dire saint. Je me souviens aussi que dans le credo, fait pour les Hottentots, on fut obligé d’exprimer Saint-Esprit par des mots du pays qui signifient un vent doux et