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nouveaux essais sur l’entendement

port au paradis et à l’enfer chez ceux-la même qui les croient le plus :

Cantantur hæc, laudateur hæc,
Dicuntur, audiuntur.
Scribuntur hæc, leguntur hæc,
Et lecta negliguntur.

Ph. Tout principe qu’on suppose inné ne peut qu’être connu d’un chacun comme juste et avantageux.

Th. C’est toujours revenir à cette supposition que j’ai réfutée tant de fois, que toute vérité innée est connue toujours et de tous.

§ 12 Ph. Mais une permission publique de violer la loi prouve que cette loi n’est pas innée : par exemple la loi d’aimer et de conserver les enfants a été violée chez les anciens lorsqu’ils ont permis de les exposer.

Ph. Cette violation supposée, il s’ensuit seulement qu’on n’a pas bien lu ces caractères de la nature, gravés dans nos âmes, mais quelquefois assez enveloppés par nos désordres ; outre que pour voir la nécessité des devoirs d’une manière invincible, il en faut envisager la démonstration, ce qui n’est pas fort ordinaire. Si la géométrie s’opposait autant à nos passions et à nos intérêts présents que la morale, nous ne la contesterions et ne la violerions guère moins, malgré toutes les démonstrations d’Euclide et d’Archimède, qu’on traiterait de rêveries, et croirait pleines de paralogismes ; et Joseph Scaliger, Hobbes et autres, qui ont écrit contre Euclide et Archimède, ne se trouveraient point si peu accompagnés qu’ils le sont. Ce n’était que la passion de la gloire, que ces auteurs croyaient trouver dans la quadrature du cercle et autres problèmes difficiles, qui ait pu aveugler jusqu’à un tel point des personnes d’un si grand mérite. Et si d’autres avaient le même intérêt, ils en useraient de même.

Ph. Tout devoir emporte l’idée de loi, et une loi ne saurait être connue et supposée sans un législateur qui l’ait prescrite, ou sans récompense et sans peine.

Th. Il peut y avoir des récompenses et des peines naturelles sans législateur ; l’intempérance, par exemple, est punie par des maladies. Cependant, comme elle ne nuit pas à tous d’abord, j’avoue qu’il n’y a guère de préceptes, à qui on serait obligé indispensablement, s’il n’y avait pas un Dieu, qui ne laisse aucun crime sans châtiment ni aucune bonne action sans récompense.