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85. De dire que Dieu discerne les choses qui se passent, parce qu’il est présent aux substances, et non pas par la dépendance que la continuation de leur existence a de lui, et qu’on peut dire envelopper une production continuelle : c’est dire des choses non intelligibles. La simple présence, ou la proximité de coexistence ne suffit point pour entendre comment ce qui se passe dans un être doit répondre à ce qui se passe dans un autre être.

86. Par après, c’est donner justement dans la doctrine, qui fait de Dieu l’âme du monde, puisqu’on le fait sentir les choses non pas par la dépendance qu’elles ont de lui, c’est-à-dire par la production continuelle de ce qu’il y a de bon et de parfait en elles, mais par une manière de sentiment ; comme l’on s’imagine que notre âme sent ce qui se passe dans le corps. C’est bien dégrader la connaissance divine.

87. Dans la vérité des choses, cette manière de sentir est entièrement chimérique, et n’a pas même lieu dans les âmes. Elles sentent ce qui se passe hors d’elles, par ce qui se passe en elles, répondant aux choses de dehors ; en vertu de l’harmonie que Dieu a préétablie par la plus belle et la plus admirable de toutes ses productions, qui fait que chaque substance simple en vertu de sa nature est, pour ainsi dire, une concentration et un miroir vivant de tout l’univers suivant son point de vue. Ce qui est encore une des plus belles et des plus incontestables preuves de l’existence de Dieu ; puisqu’il n’y a que Dieu, c’est-à-dire la cause commune, qui puisse faire cette harmonie des choses. Mais Dieu même ne peut sentir les choses par le moyen par lequel il les fait sentir aux autres. Il les sent, parce qu’il est capable de produire ce moyen ; et il ne les ferait point sentir aux autres, s’il ne les produisait lui-même toutes consentantes ; et s’il n’avait ainsi en soi leur représentation, non comme venant d’elles, mais parce qu’elles viennent de lui, et parce qu’il en est la cause efficiente et exemplaire. Il les sent, parce qu’elles viennent de lui, s’il est permis de dire qu’il les sent, ce qui ne doit qu’en dépouillant le terme de son imperfection, qui semble signifier qu’elles agissent sur lui. Elles sont, et lui sont connues, parce qu’il les entend et veut ; et parce que ce qu’il veut est autant que ce qui existe. Ce qui paraît d’autant plus, parce qu’il les fait sentir les unes aux autres ; et qu’il les fait sentir mutuellement par la suite des natures qu’il leur a données une fois pour toutes, et qu’il ne fait qu’entretenir souvent les lois de chacune à part ; lesquelles, bien que diffé-