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26. J’avoue que si deux choses parfaitement indiscernables existaient, elles seraient deux ; mais la supposition est fausse, et contraire au grand principe de la raison. Les philosophes vulgaires se sont trompés, lorsqu’ils ont cru qu’il y avait des choses différentes solo numero, ou seulement parce qu’elles sont deux : et c’est de cette erreur que sont venues leurs perplexités sur ce qu’ils appelaient le principe d’individuation. La métaphysique a été traitée ordinairement en simple doctrine des termes, comme un dictionnaire philosophique, sans venir à la discussion des choses. La philosophie superficielle, comme celle des Atomistes et des Vacuistes, se forge des choses que les raisons supérieures n’admettent point. J’espère que mes démonstrations feront changer de face à la philosophie malgré les faibles contradictions telles qu’on n’oppose ici.

27. Les parties du temps ou du lieu, prises en elles-mêmes, sont des choses idéales ; ainsi elles se ressemblent parfaitement, comme deux unités abstraites. Mais il n’en est pas de même de deux uns concrets, ou de deux temps effectifs, ou deux espaces remplis, c’est-à-dire véritablement actuels.

28. Je ne dis pas que deux points de l’espace sont un même point, ni que deux instants du temps sont un même instant, comme il semble qu’on m’impute ; mais on peut s’imaginer, faute de connaissance, qu’il y a deux instants différents, où il n’y en a qu’un ; comme j’ai remarqué dans l’art. 47 de la précédente réponse, que souvent en géométrie on suppose deux, pour représenter l’erreur d’un contredisant, et on n’en trouve qu’un. Si quelqu’un supposait qu’une ligne droite coupe l’autre en deux points, il se trouvera, au bout du compte, que ces deux points prétendus doivent coïncider, et n’en sauraient faire qu’un.

29. J’ai démontré que l’espace n’est autre chose qu’un ordre de l’existence des choses, qui se remarque dans leur simultanéité. Ainsi la fiction d’un univers matériel fini, qui se promène tout entier dans un espace vide infini, ne saurait être admise. Elle est tout à fait déraisonnable et impraticable. Car, outre qu’il n’y a point d’espace réel hors de l’univers matériel, une telle action serait sans but ; ce serait travailler sans rien faire, agendo nihil agere. Il ne se produirait aucun changement observable par qui que ce soit. Ce sont des imaginations des philosophes à notions incomplètes, qui se