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elle n’est point compatible avec l’ordre des choses, ni avec la sagesse divine, où rien n’est admis sans raison. Le vulgaire s’imagine de telles choses, parce qu’il se contente de notions incomplètes. Et c’est un des défauts des atomistes.

22. Outre que je n’admets point dans la matière des portions parfaitement solides, ou qui soient tout d’une pièce, sans aucune variété, ou mouvement particulier dans leurs parties, comme l’on conçoit les prétendus atomes. Poser de tels corps est encore une opinion populaire mal fondée. Selon mes démonstrations, chaque portion de matière est actuellement sous-divisée en parties différemment mues, et pas une ne ressemble entièrement à l’autre.

23. J’avais allégué que, dans les choses sensibles, on n’en trouve jamais deux indiscernables, et que, par exemple, on ne trouvera point deux feuilles dans un jardin, ni deux gouttes d’eau parfaitement semblables. On l’admet à l’égard des feuilles, et peut-être (perhaps) à l’égard des gouttes d’eau ; mais on pourrait l’admettre sans perhaps (senza forse, dirait un Italien), encore dans les gouttes d’eau.

24. Je crois que ces observations générales, qui se trouvent dans les choses sensibles, se trouvent encore à proportion dans les insensibles ; et qu’à cet égard on peut dire, comme disait Arlequin dans l’Empereur de la Lune, que c’est tout comme ici. Et c’est un grand préjugé contre les indiscernables, qu’on n’en trouve aucun exemple. Mais on s’oppose à cette conséquence : parce que, dit-on, les corps sensibles sont composés, au lieu qu’on soutient qu’il y en a d’insensibles qui sont simples. Je réponds encore que je n’en accorde point. Il n’y a rien de simple, selon moi, que les véritables monades, qui n’ont point de parties ni d’étendue. Les corps simples, et même les parfaitement similaires, sont une suite de la fausse position du vide et des atomes, ou d’ailleurs de la philosophie paresseuse, qui ne pousse pas assez l’analyse des choses, et s’imagine de pouvoir parvenir aux premiers éléments corporels de la nature, parce que cela contenterait notre imagination.

25. Quand je nie qu’il y ait deux gouttes d’eau entièrement semblables, ou deux autres, corps indiscernables, je ne dis point qu’il soit impossible absolument d’en poser, mais que c’est une chose contraire à la sagesse divine, et qui par conséquent n’existe point.