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nouveaux essais sur l’entendement

viennent des expériences ou des observations des sens. Notre esprit est capable de connaître les unes et les autres, mais il est la source des premières, et, quelque nombre d’expériences particulières qu’on puisse avoir d’une vérité universelle, on ne saurait s’en assurer pour toujours par l’induction, sans en connaître la nécessité par la raison.

Ph.. Mais n’est-il pas vrai que, si ces mots : être dans l’entendement, emportent quelque chose de positif, ils signifient être aperçu et compris par l’entendement ?

Th. Ils nous signifient tout autre chose : c’est assez que ce qui est dans l’entendement y puisse être trouvé et que les sources ou preuves originaires des vérités dont il s’agit ne soient que dans l’entendement : les sens peuvent insinuer, justifier et confirmer ces vérités, mais non pas en démontrer la certitude immanquable et perpétuelle.

§ 11. Ph.. Cependant tous ceux qui voudront prendre la peine de réfléchir avec un peu d’attention sur les opérations de l’entendement trouveront que ce consentement que l’esprit donne sans peine à certaines vérités dépend de la faculté de l’esprit humain.

Th. Fort bien ; mais c’est ce rapport particulier de l’esprit humain à ces vérités, qui rend l’exercice de la faculté aisé et naturel à leur égard, et qui fait qu’on les appelle innées. Ce n’est donc pas une faculté nue qui consiste dans la seule possibilité de les entendre : c’est une disposition, une aptitude, une préformation, qui détermine notre âme et qui fait qu’elles en peuvent être tirées. Tout comme il y a de la différence entre les figures qu’on donne à la pierre ou au marbre indifféremment, et entre celles que ses veines marquent déjà ou sont disposées à marquer si l’ouvrier en profite.

Ph.. Mais n’est-il point vrai que les vérités sont postérieures aux idées dont elles naissent ? Or les idées viennent des sens.

Th. Les idées intellectuelles, qui sont la source des vérités nécessaires, ne viennent point des sens ; et vous reconnaissez qu’il y a des idées qui sont dues à la réflexion de l’esprit lorsqu’il réfléchit sur soi-même. Au reste, il est vrai que la connaissance expresse des vérités est postérieure (tempore vel natura) à la connaissance expresse des idées, comme la nature des vérités dépend de la nature des idées, avant qu’on forme expressément les unes et les autres ; et les vérités où entrent les idées qui viennent des sens, dépendent des sens, au moins en partie. Mais les idées qui viennent des sens