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chevalier se vante ici dans sa lettre. C’est, qu’étant grand joueur, il donna les premières ouvertures sur l’estime des paris ; ce qui fit naître les belles pensées De Alea, de MM. Fermat, Pascal et Huygens, où M. Roberval ne pouvait ou ne voulait rien comprendre. M. le pensionnaire de Witt a poussé cela encore davantage, et l’applique à d’autres usages plus considérables par rapport aux rentes de vie : et M. Huygens m’a dit que M. Hudde a encore eu d’excellentes méditations la-dessus, et que c’est dommage qu’il les ait supprimées avec tant d’autres. Ainsi les jeux mêmes mériteraient d’être examinés, et si quelque mathématicien pénétrant méditait là-dessus, il y trouverait beaucoup d’importantes considérations ; car les hommes n’ont jamais montré plus d’esprit que lorsqu’ils ont badiné. Je veux ajouter, en passant, que non seulement Cavallieri et Torricelli, dont parle Gassendi dans le passage cité ici par M. Bayle, mais encore moi-même et beaucoup d’autres, ont trouvé les figures d’une longueur infinie, égales à des espaces finis. Il n’y a rien de plus extraordinaire en cela que dans les séries infinies, ou l’on fait voir qu’ etc., est égal à l’unité. Il se peut cependant que ce chevalier ait encore eu quelque bon enthousiasme, qui l’ait transporté dans ce monde invisible, et dans cette étendue infinie dont il parle, et que je crois être celle des idées ou des formes, dont ont parlé encore quelques scolastiques en mettant en question utrum detur vacuum formarum. Car il dit « qu’on y peut découvrir les raisons et les principes des choses, les vérités les plus cachées, les convenances, les justesses, les proportions, les vrais originaux et les parfaites idées de tout ce qu’on cherche. » Ce monde intellectuel, dont les anciens ont fort parlé, est en Dieu, et en quelque façon en nous aussi. Mais ce que la lettre dit contre la division à l’infini fait bien voir que celui qui l’a écrite était encore trop étranger dans ce monde supérieur, et que les agréments du monde visible, dont il a écrit, ne lui laissaient pas le temps qu’il faut pour acquérir le droit de bourgeoisie dans l’autre. M. Bayle a raison de dire, avec les anciens, que Dieu exerce la géométrie, et que les mathématiques font une partie du monde intellectuel, et sont les plus propres pour y donner entrée. Mais je crois moi-même que son intérieur est quelque chose de plus. J’ai insinué ailleurs qu’il y a un calcul plus important que ceux de l’arithmétique et de la géométrie, et qui dépend de l’analyse des idées. Ce serait une caractéristique universelle, dont la formation me paraît une des plus importantes choses qu’on pourrait entreprendre.