Page:Œuvres philosophiques de Leibniz, Alcan, 1900, tome 1.djvu/732

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’il n’y aurait point de substances hormis la sienne ; ce qui nous ramènerait toutes les absurdités du Dieu de Spinosa. Aussi paraît-il que l’erreur de cet auteur ne vient que de ce qu’il a poussé les suites de la doctrine, qui ôte la force et l’action aux créatures.

Je reconnais que le temps, l’étendue, le mouvement et le continu en général, de la manière qu’on les prend en mathématique, ne sont que des choses idéales, c’est-à-dire qui expriment les possibilités, tout comme font les nombres. Hobbes même a défini l’espace par Phantasma existentis. Mais, pour parler plus juste, l’étendue est l’ordre des coexistences possibles, comme le temps est l’ordre des possibilités inconstantes, mais qui ont pourtant de la connexion ; de sorte que ces ordres quadrent non seulement à ce qui est actuellement, mais encore à ce qui pourrait être mis à la place, comme les nombres sont indifférents à tout ce qui peut être res numerata. Et quoique dans la nature il ne se trouve jamais de changements parfaitement uniformes, tels que demande l’idée que les mathématiques nous donnent du mouvement, non plus que des figures actuelles, à la rigueur, de la nature de celles que la géométrie nous enseigne ; néanmoins les phénomènes actuels de la nature sont ménages et doivent l’être de telle sorte, qu’il ne se rencontre jamais rien où la loi de la continuité (que j’ai introduite, et dont j’ai fait la première mention dans les Nouvelles de la République des Lettres de M. Bayle) et toutes les autres règles les plus exactes des mathématiques soient violées. Et bien loin de cela, les choses ne sauraient être rendues intelligibles que par ces règles, seules capables, avec celles de l’harmonie, ou de la perfection que la véritable métaphysique fournit, de nous faire entrer dans les raisons et vues de l’auteur des choses. La trop grande multitude des compositions infinies fait à la vérité que nous nous perdons enfin, et sommes obligés de nous arrêter dans l’application des règles de la métaphysique, aussi bien que des mathématiques à la physique ; cependant jamais ces applications ne trompent, et quand il y a du mécompte après un raisonnement exact, c’est qu’on ne saurait assez éplucher le fait, et qu’il y a imperfection dans la supposition. On est même d’autant plus capable d’aller loin dans cette application qu’on est plus capable déménager la considération de l’infini, comme nos dernières méthodes l’ont fait voir. Ainsi, quoique les méditations mathématiques soient idéales, cela ne diminue rien de leur utilité, parce que les choses actuelles ne sauraient s’écarter de leurs