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choses. Il est vrai que le monde n’est pas un composé d’un nombre fini d’atomes, mais une machine composée, dans chacune de ses parties, d’un nombre véritablement infini de ressorts ; mais il est vrai aussi que celui qui l’a faite, et qui la gouverne, est d’une perfection encore plus infinie, puisqu’elle va à une infinité de mondes possibles, dont il a choisi celui qui lui a plu. Cependant, pour revenir aux esprits bornés, on peut juger, par de petits échantillons qui se trouvent quelquefois parmi nous, où peuvent aller ceux que nous ne connaissons pas. Il y a, par exemple, des hommes capables de faire promptement des grands calculs d’arithmétique par la seule pensée. M.  de Monconis fait mention d’un tel homme qui était de son temps en Italie, et il y en a un aujourd’hui en Suède, qui n’a pas même appris l’arithmétique ordinaire, et que je voudrais qu’on ne négligeât point de bien tâter sur sa manière de procéder. Car qu’est-ce que l’homme, quelque excellent qu’il puisse être, au prix de tant de créatures possibles et même existantes, telles que les anges ou génies, qui nous pourraient surpasser en toutes sortes de compréhensions et de raisonnements, incomparablement plus que ces merveilleux possesseurs d’une arithmétique naturelle ne nous surpassent en matière de nombres ? J’avoue que le vulgaire n’entre point dans ces considérations : on l’étourdit par des objections, où il faut penser à ce qui n’est pas ordinaire, ou même qui est sans exemple parmi nous ; mais quand on pense à la grandeur et à la variété de l’univers, on en juge tout autrement. M.  Bayle surtout ne peut point manquer de voir la justesse de ces conséquences. Il est vrai que mon hypothèse n’en dépend point, comme je le montrerai tantôt ; mais quand elle en dépendrait, et quand on aurait droit de dire qu’elle est plus surprenante que celle des automates (dont je ferai voir pourtant plus bas qu’elle ne fait que pousser les bons endroits, et ce qu’il y a de solide), je ne m’en alarmerais pas, supposé qu’il n’y ait point d’autre moyen d’expliquer les choses conformément aux lois de la nature. Car il ne faut point se régler en ces matières sur des notions populaires, au préjudice des conséquences certaines. D’ailleurs, ce n’est pas dans le merveilleux de la supposition que consiste ce qu’un philosophe doit objecter aux automates, mais dans le défaut des principes, puisqu’il faut partout des entéléchies ; et c’est avoir une petite idée de l’auteur de la nature (qui multiplie autant qu’il se peut ses petits mondes ou ses miroirs actifs indivisibles) que de n’en donner qu’aux