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être dirigé de personne, va se rendre de soi-même au port désiré. Il dit la-dessus qu’on conviendra que l’infinité de Dieu n’est pas trop grande pour communiquer à un vaisseau une telle faculté ; il ne prononce point absolument sur l’impossibilité de la chose, il juge pourtant que d’autres la croiront ; car vous direz même, ajoute-t-il, que la nature du vaisseau n’est pas capable de recevoir de Dieu cette faculté-là. Peut-être qu’il a jugé que, selon l’hypothèse en question, il faudrait supposer que Dieu a donné au vaisseau, pour cet effet, une faculté à la scolastique, comme celle qu’on donne dans les écoles aux corps pesants, pour les mener vers le centre. Si c’est ainsi qu’il l’entend, je suis le premier à rejeter la supposition ; mais s’il l’entend d’une faculté du vaisseau explicable par les règles de la mécanique, et par les ressorts internes, aussi bien que par les circonstances externes ; et s’il rejette néanmoins la supposition connue impossible, je voudrais qu’il eût donné quelque raison de ce jugement. Car bien que je n’aie point besoin de la possibilité de quelque chose qui ressemble à ce vaisseau, de la manière que M.  Bayle le semble concevoir, comme je le ferai voir plus bas ; je crois pourtant qu’à bien considérer les choses, bien loin qu’il y ait de la difiiculté là-dessus à l’égard de Dieu, il semble plutôt qu’un esprit fini pourrait être assez habile pour en venir à bout. Il n’y a point de doute qu’un homme pourrait faire une machine capable de se promener durant quelque temps par une ville, et de se tourner justement aux coins de certaines rues. Un esprit incomparablement plus parfait, quoique borné, pourrait aussi prévoir et éviter un nombre nombre valablement plus grand d’obstacles. Ce qui est si vrai, que si ce monde, selon l’hypothèse de quelques-uns, n’était qu’un composé d’un nombre fini d’atomes, qui se remuassent suivant les lois de la mécanique, il est sûr qu’un esprit fini pourrait être assez relevé pour comprendre et prévoir démonstrativement tout ce qui y doit arriver dans un temps déterminé ; de sorte que cet esprit pourrait non seulement fabriquer un vaisseau capable d’aller tout seul à un port nommé, en lui donnant d’abord le tour, la direction et les ressorts qu’il faut ; mais il pourrait encore former un corps capable de contrefaire un homme. Car il n’y a que du plus et du moins qui ne changent rien dans le pays des possibilités : et quelque grande que soit la multitude des fonctions d’une machine, la puissance et l’artifice de l’ouvrier peuvent croître à proportion ; de sorte que n’en point voir la possibilité serait ne pas assez considérer les degrés des