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cabbalistes que Dieu l’a créé, qui était aussi l’opinion de Henry More, Anglais, et de quelques autres nouveaux philosophes et particulièrement de certains chimistes, qui ont cru qu’il y a un archée universel ou bien une âme du monde et quelques-uns ont soutenu que c’est cet esprit du Seigneur qui se remuait sur les eaux, dont parle le commencement de la Genèse.

Mais lorsqu’on va jusqu’à dire que cet esprit universel est l’esprit unique, et qu’il n’y a point d’âmes ou esprits particuliers, ou du moins que ces âmes particulières cessent de subsister, je crois qu’on passe les bornes de la raison, et qu’on avance sans fondement une doctrine dont on n’a pas même de notion distincte. Examinons un peu les raisons apparentes sur lesquelles on peut appuyer cette doctrine, qui détruit l’immortalité des âmes et dégrade le genre humain, ou plutôt toutes les créatures vivantes, de ce rang qui leur appartenait et qui leur a été attribué communément. Car il me semble qu’une opinion de cette force doit être prouvée, et ce n’est pas assez d’en avoir une imagination, qui en effet n’est fondée que sur une comparaison fort clochante du souffle qui anime les organes de musique.

J’ai montré ci-dessus que la prétendue démonstration des péripatéticiens, qui soutenaient qu’il n’y avait qu’un esprit commun à tous les hommes, est de nulle force et n’est appuyée que sur des fausses suppositions. Spinoza a prétendu démontrer qu’il n’y a qu’une seule substance dans le monde, mais ces démonstrations sont pitoyables ou non intelligibles. Et les nouveaux cartésiens, qui ont cru que Dieu seul agit, n’en ont guère donné de preuve. Outre que le P. Malebranche parait admettre au moins l’action interne des esprits particuliers.

Une des raisons plus apparentes, qu’on a alléguée contre les âmes particulières, c’est qu’on a été en peine de leur origine. Les philosophes de l’École ont fort disputé sur l’origine des formes, parmi lesquelles ils comprennent les âmes. Les opinions ont été fort partagées pour savoir s’il y avait une éduction de la puissance de la matière, comme la figure tirée du marbre, ou s’il y avait une traduction des âmes, en sorte qu’une âme nouvelle naissait d’une âme précédente, comme un feu s’allume d’un autre feu, ou si les âmes existaient déjà et ne faisaient que se faire connaître après la génération de l’animal, ou enfin si les âmes étaient créées de Dieu toutes les fois qu’il y a une nouvelle génération.