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nouveaux essais sur l’entendement

confuses qui sont en nous. Vous voyez donc, Monsieur, que je n’accorde pas ce que vous mettez en fait, que nous pouvons acquérir toutes nos connaissances sans avoir besoin d’impressions innées. Et la suite fera voir qui de nous a raison.

§ 2. Ph. Nous l’allons voir en effet. Je vous avoue, mon cher Théophile, qu’il n’y a point d’opinion plus communément reçue que celle qui établit qu’il y a certains principes de la vérité desquels les hommes conviennent généralement ; c’est pourquoi ils sont appelés notions communes, ϰοιναὶ ἔννοιαι ; d’où l’on infère qu’il faut que ces principes-là soient autant d’impressions que nos esprits reçoivent avec l’existence.

§ 3. Mais, quand le fait serait certain, qu’il y aurait des principes dont tout le genre humain demeure d’accord, ce consentement universel ne prouverait point qu’ils soient innés, si l’on peut montrer, comme je le crois, une autre voie par laquelle les hommes ont pu arriver à cette uniformité de sentiment. Mais ce qui est bien pis, ce consentement universel ne se trouve guère, non pas même par rapport à ces deux célèbres principes spéculatifs (car nous parlerons par après de ceux de pratique), que tout ce qui est, est ; et qu’il est impossible qu’une chose soit ou ne soit pas en même temps ; car il y a une grande partie du genre humain à qui ces deux propositions, qui passeront sans doute pour vérités nécessaires et pour des axiomes chez vous, ne sont pas même connues.

Th. Je ne fonde pas la certitude des principes innés sur le consentement universel, car je vous ai déjà dit, Philalèthe, que mon avis est qu’on doit travailler à pouvoir démontrer tous les axiomes qui ne sont point primitifs. Je vous accorde aussi qu’un consentement fort général, mais qui n’est pas universel, peut venir d’une tradition, répandue par tout le genre humain, comme l’usage de la fumée du tabac a été reçu presque par tous les peuples en moins d’un siècle, quoiqu’on ait trouvé quelques insulaires, qui, ne connaissant pas même le feu, n’avaient garde de fumer. C’est ainsi que quelques habiles gens, même parmi les théologiens, mais du parti d’Arminius, ont cru que la connaissance de la divinité venait d’une tradition très ancienne et fort générale ; et je veux croire en effet que l’enseignement a confirmé et rectifié cette connaissance. Il paraît pourtant que la nature a contribué à y mener sans la doctrine ; les merveilles de l’univers ont fait penser à un pouvoir supérieur. On a vu un enfant né sourd et muet marquer de la vénération pour la pleine lune, et